Distinction dette/capitaux propres en IFRS : une approche renouvelée

Le normalisateur IASB a publié en juin 2018 un papier de discussion (DP) qui renouvelle l’approche actuelle relative à la distinction dette / capitaux propres selon les normes IFRS, considérée du point de vue de l’émetteur.

Ce document, intitulé « FICE » (Financial Instruments with Characteristics of Equity), et ouvert à commentaires jusqu’en janvier 2019, a vocation à :

  • proposer un nouveau cadre d’analyse relatif aux instruments hybrides dettes/capitaux propres et décliner ce cadre aux instruments dérivés sur actions propres ;
  • conduire à une révision de la norme IAS 32, qui traite actuellement de ces aspects ;
  • compléter le nouveau cadre conceptuel de l’IASB (« Framework ») publié en 2018, qui a volontairement laissé de côté ce sujet.

Le choix du classement des instruments hybrides en dette ou en capitaux propres est fondamental à plusieurs égards :

  • il conditionne l’analyse de la solvabilité et de rentabilité financière des entreprises concernées, telle que pratiquée notamment par les analystes financiers et les agences de notation ;
  • il détermine la physionomie du compte de résultat, qui enregistre la variation des instruments de dette mais pas celle des instruments de capitaux propres, dont la valeur est figée à l’origine ;
  • il influence certains ratios de solvabilité réglementaires, tels que les ratios prudentiels bancaires, qui s’appuient sur le classement comptable de ces instruments en IFRS.

Cet article présente les grands principes de la nouvelle approche de distinction dette/ capitaux propres proposée par l’IASB, ainsi que son application :

en soulignant les points de divergence et de continuité avec la norme actuelle IAS 32. Le texte original du DP ainsi qu’une synthèse élaborée par le normalisateur IASB sont référencés en Annexe.

Ce projet apparaît comme la seconde phase d’un chantier global de refonte de la comptabilisation des instruments financiers, dont l’entrée en vigueur d’IFRS 9 en 2018 constitue la première phase.  (Cf. article « IFRS 9 une pratique à construire » http://accounting-partner.fr/ifrs-9-une-pratique-a-construire)

 

I – La nouvelle approche proposée par l’IASB

L’approche de l’IASB concerne tous les instruments financiers « own equity », i.e. sur actions propres, à savoir ceux :

  • dont la valeur dépend d’un instrument de capitaux propres, qu’ils soient non dérivés (ex : action ordinaire), dérivés (ex : warrant), ou composés (ex : obligation convertible en actions/ OCA)
  • dont la valeur dépend d’une autre variable financière (ex  : taux, change, crédit ou commodity), mais qui sont dénoués par réception ou émission d’instruments de capitaux propres de l’entité.

Selon le DP, la qualification en capitaux propres d’un instrument sur actions propres est liée au respect conjoint des deux critères suivants :

  • le timing : il n’existe aucune obligation de transférer de la trésorerie (ou un autre actif financier) à une date antérieure à la liquidation, et
  • le montant: il n’existe aucune obligation de transférer un montant indépendant des ressources économiques de l’entité.

A défaut, si l’un de ces 2 critères n’est pas respecté, l’instrument est qualifié de dette financière.

Le tableau ci-dessous synthétise cette approche.

L’approche du DP fonde ces 2 critères sur la nécessité de répondre aux objectifs des utilisateurs de l’information financière :

  • le critère de montant doit leur permettre d’évaluer la solvabilité de l’entreprise et l’adéquation du rendement de ses actifs au coût de ses obligations. Ainsi, un instrument comportant une obligation de paiement pour un montant fixe indépendant des ressources économiques de l’entité est qualifié en dette financière :
    • même s’il est dénoué en actions de l’entité – dont le nombre à émettre varie en proportion inverse de sa valeur.
    • même s’il n’est dénoué qu’au moment de la liquidation de l’entreprise
  • le critère de timing doit leur permettre d’évaluer la liquidité de l’entreprise, i.e. sa capacité à faire face à des échéances de trésorerie au moment requis. Ainsi, un instrument comportant une obligation de paiement assortie d’une échéance, ou dont le dénouement est en dehors du contrôle de l’émetteur, par exemple parce qu’il dépend d’un évènement extérieur ou de l’exercice d’une option par la contrepartie, est qualifié en dette financière, même si le montant dépend des ressources économiques de l’entité.

Néanmoins, pour les instruments classés en dette financière au regard du seul critère de timing, mais dont l’obligation porte sur un montant exclusivement dépendant des ressources économiques de l’entité, la dette est réévaluée directement en Other Comprehensive Income (OCI), c’est-à-dire en capitaux propres, sans recyclage ultérieur en compte de résultat. C’est le cas par exemple d’une action remboursable à sa juste valeur, à une échéance certaine ou déclenchée par l’exercice d’une option par la contrepartie.

Cette réévaluation de la dette en OCI a pour objectif de ne pas « polluer » le résultat avec des impacts contre-intuitifs, qui conduiraient à constater en résultat une charge alors que la situation de l’entreprise s’améliore, ou un produit alors que celle-ci se détériore. Le DP conserve néanmoins la dérogation prévue par la norme IAS 32, permettant de classer en capitaux propres les instruments « puttables » ou remboursables à une date prédéfinie, lorsque ceux-ci remplissent une fonction similaire à des actions pour l’émetteur, notamment parce qu’ils ont le rang le plus subordonné parmi les instruments de financement de son activité.

 

II – Application aux instruments non dérivés

Un instrument non dérivé sur actions propres correspond par exemple :

  • à une action ordinaire ;
  • à une obligation remboursable pour un montant fixe en EUR par livraison d’un nombre variable d’actions ;
  • à une obligation remboursable en trésorerie à sa maturité, pour un montant égal à la juste valeur de l’action.

Si l’on reprend ces 3 cas simples :

  • une action ordinaire émise respecte les 2 critères du timing et du montant et répond donc à la définition d’instrument de capitaux propres ;
  • une obligation remboursable pour un montant fixe en EUR par livraison d’un nombre variable d’actions ne respecte pas le critère du montant, et doit donc être qualifiée d’instrument de dette ;
  • une obligation remboursable à la juste valeur de l’action à maturité ne respecte pas le critère du timing et doit être qualifiée d’instrument de dette ; cette dette est réévaluée en OCI non recyclable car le critère du montant est satisfait.

Le point commun de ces instruments est que leur qualification selon le DP est identique à celle applicable selon IAS 32, qui qualifie un instrument en dette lorsque :

  • il comporte une obligation de sortie de trésorerie antérieure à la liquidation, ce qui rejoint le critère du timing préconisé par le DP ; néanmoins, selon IAS 32, la variation de valeur de la dette est enregistrée en résultat, alors que l’approche du DP conduit à une réévaluation par OCI lorsque le critère du montant est satisfait.
  • il comporte une obligation dénouée par un nombre variable des actions de l’entité, celle-ci utilisant ses propres actions comme monnaie de règlement :  ce critère IAS 32 est d’application plus restrictive que le critère de montant indépendant des ressources de l’entité préconisé par le DP.

A contrario, l’application de la nouvelle approche à des instruments moins standards aboutirait à une qualification différente de celle d’IAS 32. Ainsi :

  • Pour une action de préférence à dividendes fixes cumulatifs, le paiement des dividendes peut être reporté jusqu’à la liquidation, mais le montant différé porte intérêt et le montant final est indépendant des ressources de l’entité. Selon l’approche du DP, cet instrument serait donc qualifié de dette, alors que l’absence d’obligation de paiement avant la date de liquidation conduirait à une qualification en capitaux propres selon IAS 32. Ce changement de qualification pourrait notamment avoir un impact sur les ratios prudentiels des banques, qui ne pourraient plus intégrer ces instruments dans leurs fonds propres réglementaires de base (« Core Equity Tier 1 »), dont la définition présuppose notamment la qualification comme capitaux propres en IFRS. En revanche, lorsque les dividendes ne sont pas cumulatifs, l’obligation de paiement disparaît également en date de liquidation et l’instrument peut être qualifié de capitaux propres selon le DP comme en IAS 32.
  • Pour une action de préférence à dividende fixe croissant (« step-up »), le non-versement d’un dividende n’entraîne pas de report cumulatif, mais une augmentation du dividende suivant, de façon itérative si nécessaire jusqu’en date de liquidation, à laquelle est finalement payé le dividende majoré. Selon l’approche du DP, cet instrument serait qualifié de dette compte tenu du mode de calcul du dividende, indépendant des ressources économiques de l’entité, alors qu’il serait classé en capitaux propres selon IAS 32 car le dividende est discrétionnaire et aucun paiement n’est dû avant la liquidation. Cette qualification comme dette selon le DP permet en outre de tenir compte, dans ce cas particulier, de l’incitation économique au paiement anticipé du dividende (« economic compulsion »), alors que celle-ci n’est pas prise en considération par le DP dans d’autres situations pour qualifier un instrument de dette (Cf. §V ci-après).

L’arbre de décision suivant synthétise l’application de cette nouvelle approche aux instruments non dérivés.

III – Application aux dérivés sur actions propres

Un instrument dérivé sur actions propres est un contrat dont l’un des sous-jacents est un instrument de capitaux propres de l’entité ou dont le règlement s’effectue en instruments de capitaux propres de l’entité. Ce contrat peut être ferme ou optionnel, autonome ou incorporé dans un support de financement comme dans le cas d’une obligation convertible en actions (OCA). Il peut être dénoué en brut par livraison du sous-jacent action contre cash, ou en net par paiement de la valeur du dérivé à échéance (valeur intrinsèque). Cette valeur nette peut être en versée en trésorerie (« net cash ») ou par émission d’un nombre variable d’actions inversement proportionnel à leur valeur (« net share »).

Le respect conjoint des 2 critères du timing et du montant, nécessaire à la qualification comme instrument de capitaux propres selon le DP, se décline comme suit pour les dérivés sur actions propres:

  • le critère du montant s’applique sur la valeur intrinsèque du dérivé, telle qu’elle résulte de son « pay-off » – c’est-à-dire de la formule permettant de déterminer la valeur nette des jambes payeuse et receveuse de l’instrument ; pour une qualification en capitaux propres, cette valeur doit dépendre exclusivement de la variation des ressources économiques de l’entité, telles que sa propre action ou son résultat net, et non d’une variable exogène, telle que taux de change ou prix de commodity.
  • le critère du timing est mis en œuvre au travers les modalités de dénouement du dérivé à une échéance qui est toujours antérieure à la liquidation : dès lors, le dénouement doit s’effectuer par réception ou émission d’actions propres (en brut ou en « net share »), car dans le cas contraire, un dénouement en « net cash » implique, dans le cas où la valeur du dérivé est négative à l’échéance, une sortie de trésorerie avant la liquidation.

Si l’un de ces 2 critères n’est pas respecté, le dérivé sur actions propres est assimilé à un dérivé IFRS 9 et réévalué en Mark-to-Market (MtoM), donc comptabilisé comme actif ou comme dette selon que sa valeur est positive ou négative. Néanmoins, comme pour les instruments non dérivés, si le montant net du dérivé dépend exclusivement des ressources économiques de l’entité, la variation de valeur du dérivé est comptabilisée en OCI non recyclables : c’est le cas par exemple d’un call vendu sur actions propres dénoué en trésorerie sur base nette.

La déclinaison de l’approche générale du DP au cas des dérivés sur actions propres comporte par ailleurs les spécificités suivantes :

  • une catégorie intermédiaire de dérivés « partiellement indépendants » des ressources économiques de l’entité est créée : cette catégorie cible les dérivés dont le seul paramètre indépendant est une devise étrangère, utilisée par l’émetteur pour des motifs contraints tels que l’accessibilité à un marché plus liquide ou à une base d’investisseurs supplémentaire. Ces dérivés restent qualifiés d’instruments de dette, mais sont réévalués par OCI non recyclables, à l’instar des dérivés exclusivement dépendant des ressources économiques mais dénoués en « net cash ». Cette nouvelle présentation vise en réalité à atténuer l’impact du changement de qualification des warrants émis en devises, qui font aujourd’hui l’objet d’une qualification dérogatoire en capitaux propres selon IAS 32.
  • lorsque le dérivé peut être dénoué, en dehors du contrôle de l’émetteur, par achat d’actions propres, une dette financière est comptabilisée dès l’origine pour sa valeur actuelle par contrepartie d’une diminution des capitaux propres, : c’est le cas par exemple d’un put vendu sur actions propres, ou d’un contrat d’achat à terme d’actions propres. L’approche applicable devient alors celle relative aux instruments composés, développée au point IV ci-après.

L’approche sur les dérivés peut être synthétisée par l’arbre de décision suivant :

La nouvelle approche ne modifie pas le classement de la majorité des dérivés sur actions propres par rapport à la norme actuelle IAS 32. Selon celle-ci, un dérivé ne peut être qualifié d’instrument de capitaux propres que s’il se dénoue par l’échange d’un montant fixe de trésorerie contre un montant fixe d’actions propres (principe du « fixe contre fixe »). C’est par exemple le cas d’un call vendu sur actions propres dénoué en brut, tel que celui incorporé dans une OCA, qui sera également qualifié d’instrument de capitaux propres selon la nouvelle approche du DP, car il respecte les 2 critères du timing et du montant.

Néanmoins, l’approche proposée par le DP entraîne une qualification différente par rapport à la norme IAS 32 dans les cas suivants :

  • un dérivé exclusivement dépendant des ressources économiques de l’entité et dénoué en « net share » est qualifié d’instrument de capitaux propres, alors qu’il est assimilé à un dérivé IFRS 9 aujourd’hui, et réévalué en MtoM par résultat. C’est le cas par exemple d’un contrat de vente à terme d’actions propres ou d’un call vendu sur actions propres, dénoué en « net share ».
  • un warrant émis en devise, aussi appelé « foreign currency right », est qualifié de dérivé « partiellement indépendant », donc assimilé à un dérivé IFRS 9, comptabilisé initialement en dette et réévalué ultérieurement par OCI, alors qu’il est qualifié en IAS 32 d’instrument de capitaux propres et non réévalué, par dérogation au principe du « fixe contre fixe ».

Par ailleurs, le DP précise la façon dont le critère de montant exclusivement dépendant des ressources économiques de l’entité s’applique dans un certain nombre de situations :

  • L’existence de clauses compensatrices de dilution  ou de dividendes : celles-ci ont pour objectif d’ajuster à la hausse le nombre d’actions échangées à échéance pour compenser l’augmentation du nombre d’actions émises ou la distribution de dividendes dont ne bénéficient pas les détenteurs de dérivés qui ne sont pas encore actionnaires ;  une telle clause prévoit par exemple la livraison contre cash d’une proportion fixe -par ex 1% – du nombre d’actions en circulation à la date d’exercice du dérivé, auquel cas le caractère exclusivement dépendant du montant des ressources économiques de l’entité n’est pas remis en question.  A contrario, une clause qui prévoirait un ajustement à la hausse du nombre d’actions à livrer en cas de dilution telle que leur valeur globale soit au moins égale à 100 EUR, introduirait dans le pay-off du dérivé un paramètre indépendant des ressources économiques de l’entité.
  • L’existence de clauses tenant compte de l’effet du passage du temps, : par exemple l’augmentation du prix d’exercice d’une option en fonction de son échéance, au travers d’une indexation sur un taux d’intérêt. Ce type de clause ne remet pas non plus en cause le caractère exclusivement dépendant du montant de ressources économiques de l’entité, à condition que le taux d’intérêt soit en rapport avec l’environnement économique de l’entité et qu’il n’intègre pas d’effet de levier.
  • La définition du pay-off du dérivé par rapport à certains indicateurs de mesure de performance de l’entité, comme l’EBIT : dans ce cas, le caractère exclusivement dépendant des ressources de l’entité serait remis en cause, car l’indicateur ne porte pas sur le rendement produit par les ressources nettes de l’entité, mais par ses ressources brutes avant prise en compte de sa dette. A contrario, si le pay-off était défini par rapport au résultat net ou au résultat avant impôts, le caractère exclusivement dépendant serait acquis car ces indicateurs mesurent bien le rendement sur les ressources économiques nettes de l’entité.
  • Le conditionnement de l’exercice du dérivé à la survenance d’un événement en dehors du contrôle de l’émetteur. Dans ce cas, si l’événement a pour seule conséquence l’exercice ou non du dérivé, il ne remet pas en cause le caractère exclusivement dépendant de son pay-off. Ainsi, un call vendu prévoyant l’émission d’actions propres contre cash en cas de réussite à un appel d’offres, ou d’introduction en bourse de l’émetteur, serait qualifié d’instrument de capitaux propres.

Le traitement de certaines de ces situations par le DP permet en outre de préciser la jurisprudence d’application actuelle d’IAS 32. Ainsi en est-il des clauses compensatrices de dilution, de dividendes, ou d’effet lié au passage du temps, qui clarifient par la même occasion la mise en œuvre du principe de « fixe contre fixe » actuellement requis pour une qualification du dérivé en instrument de capitaux propres au regard de la norme IAS 32.

 

IV – Application aux instruments composés (« compound instrument »)

Selon le DP, un instrument composé est un instrument non dérivé, qui comporte une composante de dette et une composante de capitaux propres, ou qui incorpore un choix entre un dénouement en trésorerie, et un dénouement en actions propres. Ce choix de dénouement peut être à la main de l’émetteur, à la main du porteur, ou dépendre de la survenance d’un événement en dehors du contrôle de l’une des parties au contrat.

L’analyse d’un instrument composé comprend ainsi les étapes suivantes :

  1. l’identification d’une éventuelle composante de dette pour sa valeur actuelle, selon l’approche du DP articulée sur les 2 critères du timing et du montant: cette composante existe lorsqu’il existe une obligation de sortie de trésorerie, certaine ou en dehors du contrôle de l’émetteur, i.e. à la main du porteur (par ex l’option de conversion incorporée dans une OCA), ou soumise à une contingence externe. A contrario, lorsque le mode de dénouement de toutes les composantes de l’obligation est sous le contrôle de l’émetteur, l’instrument est qualifié en totalité de capitaux propres : c’est le cas d’une obligation « reverse convertible » sans flux d’intérêts périodiques, qui permet à l’émetteur d’arbitrer entre remboursement de l’obligation en actions propres ou en trésorerie en fonction du cours de l’action à échéance, ou encore d’une action « callable », qui donne à l’émetteur la faculté mais pas l’obligation de racheter l’action en trésorerie à échéance du call.
  2. l’identification et la qualification comptable de la composante résiduelle, déterminée par différence entre la valeur totale de l’instrument et la valeur de la composante de dette, à condition que celle-ci ne soit pas égale à la valeur totale de l’instrument, comme pour une action émise remboursable au gré du porteur à sa juste valeur, auquel cas la composante résiduelle (put vendu exerçable à la juste valeur) a une valeur nulle.

La composante résiduelle peut correspondre :

  • soit à un non dérivé : ainsi, les flux de dividendes discrétionnaires incorporés dans une action de préférence remboursable en trésorerie à maturité, constituent une composante de capitaux propres, en complément de la composante de dette liée au principal. De même, le flux de remboursement final en actions d’une Obligation Remboursable en Actions (ORA) est une composante de capitaux propres, en complément de la composante de dette représentée par les flux d’intérêts périodiques.
  • soit à un dérivé, qui sera qualifié comme instrument de capitaux propres, ou comme dérivé IFRS 9 réévalué en MtoM au terme de l’analyse applicable aux dérivés sur actions propres. Ainsi :
    • la composante résiduelle d’une OCA donnant lieu à une émission d’actions propres au gré du porteur correspond à un call vendu sur actions propres, qualifié d’instrument de capitaux propres, car il est dénoué en brut et dépend exclusivement de la valeur de l’action. En revanche, si l’OCA ne peut être dénouée qu'en trésorerie, par remboursement d’un montant fixe ou, au gré du porteur, d’un montant indexé sur la valeur de l’action (« equity kicker »), le call vendu sur actions propres est qualifié de dérivé IFRS 9 et comptabilisé en dette, car il est dénoué en « net cash ». Par ailleurs, dans la mesure où ce call est exclusivement dépendant de la valeur de l’action, sa variation de valeur MtoM est comptabilisée en OCI. De même, dans le cas d’une OCA en devises dénouée par émission d’actions propres contre de la trésorerie en devises, le dérivé résiduel correspond à un call vendu partiellement indépendant, qualifié de dérivé IFRS 9, comptabilisé en dette et réévalué par OCI.
    • dans le cas d’une dette remboursable en un nombre variable d’actions propres plafonné à un seuil, l’émetteur bénéficie d’une option achetée (put) lui permettant de limiter le nombre d’actions émises si le cours de l’action descend en dessous de ce seuil. Ce put répond à la définition d’un instrument de capitaux propres car il dépend exclusivement de la valeur de l’action et est dénoué en « net share ». Il est donc comptabilisé ici comme un « contra-equity, », i.e. en moins des capitaux propres, en contrepartie d’une augmentation de la dette reflétant l’obligation de paiement en un nombre variable d’actions tant que la limite n’est pas franchie. Ce traitement représente une évolution par rapport à IAS 32, qui traite ce type d’instrument en totalité comme une dette, dans la mesure où le nombre d’actions à émettre est considéré comme globalement variable, même s’il peut devenir fixe en dessous du seuil d’activation de l’option.

En pratique, le dérivé résiduel sera toujours exclusivement dépendant de la valeur de l’action, donc des ressources économiques de l’entité, dans la mesure où il matérialise l’alternative entre un dénouement en trésorerie et un dénouement en actions propres. Dès lors, conformément à l’approche applicable aux dérivés, il sera soit qualifié d’instrument de capitaux propres, soit réévalué en MtoM par OCI.

Par ailleurs, lorsqu’un dérivé se dénoue, en dehors du contrôle de l’émetteur, par un achat d’actions propres, le DP présuppose que cet achat est un rachat d’actions préalablement émises, et qu’il implique donc une annulation de ces actions :  par ex. pour un put vendu sur actions propres, ou pour un contrat d’achat à terme d’actions propres.  La comptabilisation est alors la suivante :

  • une dette est enregistrée pour la valeur actuelle du prix de rachat des actions propres à terminaison, par la contrepartie d’une diminution des capitaux propres. Cette approche de décompensation (« gross-up ») des 2 jambes du dérivé s’applique :
    • non seulement lorsque le rachat est effectué en trésorerie, comme c’est le cas selon IAS 32 ;
    • mais aussi, lorsque le rachat d’actions s’effectue en « net share », i.e. par livraison d’un nombre variable d’actions égal à un montant prédéterminé, contre réception d’un nombre fixe d’actions, car la jambe payeuse répond à la définition d’une dette selon la nouvelle approche. Cette approche est contraire à IAS 32, qui qualifie ce type d’instrument comme un dérivé IFRS 9 réévalué en MtoM par résultat sur base nette.
  •  une composante résiduelle est enregistrée, en complément de la dette, selon l’approche définie pour les instruments composés, avec la particularité suivante : lorsqu’une prime est perçue par l’émetteur sur un dérivé optionnel de type put vendu, le DP préconise une correction du montant de la prime réelle par imputation sur les capitaux propres, pour s’ajuster sur la valeur théorique d’un call incorporé dans une OCA. En effet, selon le DP, il existe pour l’acheteur de l’option un choix identique dans les 2 situations, conduisant soit à émettre des actions (en cas d’exercice du call de l’OCA ou de non exercice du put de revente des actions à l’émetteur),soit à sortir de la trésorerie (en cas de non exercice du call ou d’exercice du put). Ce traitement s’écarte de celui appliqué actuellement en IAS 32, qui enregistre le put vendu à sa valeur réelle, égale au montant de la prime effectivement perçue à l’origine.

Sur ce dernier point, l’approche du DP paraît  discutable, car elle revient à comptabiliser une option hypothétique (call) distincte de l’option réelle contractée (put), et dont les valeurs respectives sont d’autant plus différentes que chacune des options s’éloigne de la « monnaie », c’est à dire que l’écart entre leur prix d’exercice et la valeur du sous-jacent action est important.

L’approche sur les instruments composés peut être synthétisée par l’arbre de décision suivant :

Cette approche s’applique également aux puts/ NCI, c’est-à-dire aux promesses de rachat par la maison mère (puts) des actions de filiales détenues par les actionnaires minoritaires (Non Controlling Interests / NCI), dans la mesure où les NCI répondent à la qualification de instruments de capitaux propres du groupe consolidé au regard de la norme IFRS 10.  2 cas de figure peuvent se présenter :

  • lorsque le prix d’exercice du put est fixe, une dette est comptabilisée pour sa valeur actuelle, ainsi qu’un dérivé résiduel correspondant au call hypothétique déterminé selon les modalités détaillées ci-dessus, et qualifié d’instrument de capitaux propres.
  • lorsque le prix d’exercice du put est égal à la juste valeur de l’action, la valeur du put est nulle à tout moment et la valeur de la dette associée est égale à celle de l’action. Par ailleurs, dans la mesure où cette valeur est exclusivement dépendante du prix de l’action, sa réévaluation est enregistrée en OCI non recyclables, ce qui permet d’atténuer le caractère contre-intuitif de la réévaluation par résultat de ces instruments selon IAS 32. La nécessité de définir un traitement acceptable pour les puts/ NCI remboursables à la juste valeur est d’ailleurs la principale motivation à l’origine de la création d’une nouvelle catégorie de dette réévaluée en OCI non recyclables lorsque sa valeur dépend exclusivement des ressources économiques de l’entité. L’extension de la catégorie OCI apparaît, dans ce cas particulier, relever des « circonstances exceptionnelles » prévues par le Framework adopté en 2018, qui justifient la réévaluation d’un actif ou d’un passif en OCI lorsque la pertinence du compte de résultat s’en trouve améliorée.

 

V –Autres thèmes couverts par le DP

En complément de la nouvelle approche relative aux instruments hybrides et aux dérivés sur actions propres, le DP propose de définir des règles d’affectation de la performance globale – enregistrée en résultat et en OCI – aux différentes composantes des capitaux propres autres que les actions ordinaires. Ces composantes correspondent par exemple à des warrants émis ou à des actions de préférences qualifiées d’instruments de capitaux propres, mais détenus par des investisseurs autres que les actionnaires ordinaires. S’agissant en particulier des dérivés qualifiés d’instruments de capitaux propres, le DP propose plusieurs méthodes d’affectation de la performance globale dont le point commun est de rendre nécessaire une réévaluation de ces dérivés à leur juste valeur au sein des capitaux propres, alors ceux-ci sont enregistrés aujourd’hui à leur valeur d’origine et ne sont pas réévalués. Cette approche est complétée par des exigences d’information en annexe sur le caractère dilutif des instruments dérivés sur actions propres, qui viennent s’ajouter à celles déjà requises par la norme IAS 33 – résultat par action.

Par ailleurs, le DP réaffirme que seules les clauses contractuelles d’un instrument hybride sont pertinentes pour définir sa qualification, comme aujourd’hui en IAS 32 :

  • le DP confirme l’absence de prise en compte de l’incitation économique (« economic compulsion ») dans la qualification de l’instrument : ainsi, une obligation « reverse convertible », dont l’exercice de l’option de remboursement en trésorerie par l’émetteur serait très en dedans de la monnaie au regard du cours élevé de sa propre action, resterait qualifiée de capitaux propres, malgré le caractère peu probable d’un dénouement par émission d’actions propres.   Cette approche est cohérente avec IAS 32, qui ne tient pas compte de la pratique passée ou de l’intention dans la qualification des contrats, mais elle apparaît en décalage avec le nouveau cadre conceptuel adopté en 2018, qui postule qu’une dette est caractérisée si les conséquences économiques d’un choix alternatif au remboursement en trésorerie sont trop pénalisantes pour que l’entité puisse y recourir en pratique.
  • le DP confirme l’absence de prise en compte des contraintes légales ou règlementaires pour qualifier un contrat : ainsi, une obligation légale de racheter les intérêts minoritaires en cas d’offre publique d’achat (Mandatory Tender Offer/ MTO), ne peut être comptabilisée, alors qu’elle est économiquement analogue à une obligation contractuelle de rachat d’intérêts minoritaires devant être qualifiée de dette. De même, une clause de conversion en actions activée en cas de dégradation des ratios de solvabilité d’une banque, applicable réglementairement à certains instruments dits « Contingent Convertibles » (ou « Co-Cos »), ne peut être qualifiée de capitaux propres si elle n’est pas contractualisée. Cette position est cohérente avec la norme IFRS 9 sur la comptabilisation et l’évaluation des instruments financiers, qui ignore également l’existence de clauses extra-contractuelles dans la qualification des instruments, mais elle apparaît en contradiction avec l’interprétation IFRIC 2 – parts sociales des coopératives, qui prévoit la qualification en capitaux propres des parts sociales émises sur la seule base d’une obligation légale de non-remboursement au-delà d’un seuil de capital minimum.

 

VI – Conclusion : une évolution structurante par rapport à l’existant

S’il apparaît prématuré d’estimer dès aujourd’hui l’ampleur des changements par rapport à la norme actuelle IAS 32, on peut néanmoins discerner les tendances suivantes :

  • Le déplacement du curseur dette/ capitaux propres vers la dette. En effet, selon la nouvelle approche, le critère de montant indépendant des ressources économiques de l’entité s’applique même lorsque le remboursement est différé jusqu’en date de liquidation, ce qui élargit le champ de la qualification de dette à des instruments tels que les actions de préférence à dividendes fixes cumulatifs, ou les actions à dividende croissant (« step-up »), aujourd’hui qualifiées de capitaux propres. De même, s’agissant des dérivés, les warrants en devises aujourd’hui qualifiés de capitaux propres en IAS 32, par dérogation au principe du « fixe contre fixe », seraient requalifiés en dette du fait de l’existence de la variable devise étrangère, indépendante des ressources économiques de l’entité. Enfin, la constatation d’une dette au titre des dérivés dénoués par rachat d’actions propres, tels qu’un contrat d’achat à terme ou un put vendu sur actions propres, déjà applicable pour les dérivés dénoués en brut par transfert de trésorerie contre actions, serait étendue aux dérivés dénoués en « net share » par échange d’un nombre fixe d’actions achetées contre un nombre variable d’actions émises.
  • Le rétrécissement du champ des instruments dérivés comptabilisés en juste valeur par résultat, selon la méthode générale applicable en IFRS 9. En effet, au regard de l’approche proposée par le DP, les instruments dérivés suivants font l’objet d’un traitement à part :
    • les dérivés qualifiés d’instrument de capitaux propres ne sont pas réévalués, comme c’est déjà le cas aujourd’hui en IAS 32. Néanmoins, cette catégorie s’élargit désormais aux dérivés dénoués en « net share », aujourd’hui qualifiés de dérivés IFRS 9 et réévalués en MtoM par résultat.
    • les dérivés conduisant au rachat d’actions propres et dénoués en brut ou en « net share » sont décompensés et donnent lieu à la constatation d’une dette par contrepartie d’une diminution des capitaux propres. Ici encore, ce traitement existe déjà en IAS 32, mais il s’élargit au cas des dérivés dénoués en « net share », comme évoqué ci-dessus. En outre, le DP impose une correction de la valeur à l’origine de la composante dérivée par imputation sur les capitaux propres, pour l’ajuster sur la valeur d’une option hypothétique de conversion en actions présente dans une OCA.
    • les dérivés exclusivement dépendants des ressources économiques de l’entité mais dénoués en trésorerie (net cash), ainsi que les dérivés dépendants des ressources économiques de l’entité sauf au titre de la composante change (dérivés « partiellement indépendants »), sont réévalués par OCI non recyclables. Cette nouvelle catégorie a vocation à rentrer dans le champ de la norme IFRS 9, qui couvre l’ensemble des dérivés non qualifiés d’instruments de capitaux propres, mais elle devra faire l’objet d’un développement spécifique car IFRS 9 ne connaît pas aujourd’hui cette nature de dérivés. Par ailleurs, on peut s’interroger sur la compatibilité de cette approche avec les « circonstances exceptionnelles » mentionnées par le Framework adopté en 2018 pour utiliser la catégorie OCI de préférence au compte de résultat, contrairement au cas des puts/NCI où l’amélioration de la pertinence du compte de résultat justifie le recours à cette présentation dérogatoire.

Dès lors, les seuls dérivés sur actions propres qui resteraient comptabilisés en juste valeur par résultat sont ceux dont la valeur est indépendante des ressources économiques de l’entité : en pratique, cela correspond au cas où les actions de l’entité sont utilisées comme une simple monnaie de règlement d’un dérivé indexé sur un autre sous-jacent financier.

Le DP cherche néanmoins par ailleurs à limiter l’impact des évolutions par rapport à la norme IAS 32, ce qui le conduit :

  • à ne pas remettre en cause des dérogations existantes, telles que le classement en capitaux propres des instruments « puttables » ou remboursables à une date prédéfinie, ou des parts sociales remboursables émises par les coopératives dont le traitement est défini par l’interprétation IFRIC 2, dérogations qui rentrent pourtant en contradiction avec les principes de distinction dette/ capitaux propres définis par le DP.
  • à ne pas résoudre les incohérences qui subsistent par rapport au  Framework , relatives à l’absence de prise en compte des incitations économiques dans la qualification de dette, ou à la qualification en dette d’un instrument dénoués par actions propres, alors que ce mode de dénouement ne correspond pas à une obligation de transfert de ressources économiques et implique au contraire une qualification en capitaux propres au regard de la norme IFRS 2- paiement en actions, en cohérence avec le Framework.

 

VII – Annexe: Discussion Paper FICE (Financial Instruments with Characteristics of Equity)

  • Discussion Paper

https://www.ifrs.org/-/media/project/fice/discussion-paper/published-documents/dp-fice-june-2018.pdf

  • DP FICE Snapshot

https://www.ifrs.org/-/media/project/fice/discussion-paper/published-documents/dp-fice-snapshot.pdf

  • DP FICE Supporting Material

https://www.ifrs.org/projects/work-plan/financial-instruments-with-characteristics-of-equity/#supporting-material

 

Avertissement

L’objectif de cet article, publié par Accounting Partner, est d’informer ses lecteurs de sujets d’actualité IFRS. Il ne peut en aucun cas être assimilé, en totalité ou partiellement, à une opinion délivrée par Accounting Partner, Accounting Partner décline toute responsabilité relative aux éventuelles erreurs ou omissions que cette publication pourrait contenir. La rédaction de cet article a été achevée le 15 octobre 2018 © Accounting Partner –octobre 2018 – Tous droits réservés

IFRS 9 : une pratique à construire

(Article paru sur le site de Demos Formation)

Depuis le 1er janvier 2018, les entreprises françaises publiant leurs comptes en normes IFRS appliquent la nouvelle norme IFRS 9 « Instruments Financiers ». Cette norme introduit des évolutions importantes par rapport à IAS 39, à laquelle elle se substitue, dans les domaines suivants :  le classement et l’évaluation des actifs financiers, le provisionnement des actifs financiers, et la comptabilité de couverture. Si beaucoup d’études préalables ont été menées IFRS 9 en amont de son application, seule sa mise en pratique effective par les entreprises concernées permettra de mesurer son impact réel sur leurs comptes et de faire émerger une véritable jurisprudence d’application.

Une norme à la carte ?

La question se pose car IFRS 9 ne s’applique pas de manière homogène à tous les secteurs d’activité :

  • les assureurs peuvent continuer à appliquer intégralement la norme IAS 39 préexistante jusqu’en 2021, date d’entrée en vigueur de la norme IFRS 17 relative aux contrats d’assurance, afin notamment de ne pas créer de déséquilibre temporaire entre le mode d’évaluation des passifs d’assurance et celui des actifs financiers qui leur sont adossés.
  • le volet « comptabilité de couverture » d’IFRS 9, ne s’applique qu’aux entreprises volontaires. Cette dérogation intéresse en premier lieu les banques qui souhaitent pour la plupart continuer à appliquer les dispositions d’IAS 39 sur ce sujet, tant que les modalités de gestion actif-passif (ALM) qu’elles utilisent pour la couverture globale de leur risque de taux d’intérêt ne seront pas traduites normativement, au travers du projet « macro-couverture » de l’IASB, dont l’horizon d’aboutissement est aujourd’hui incertain.

Ces exclusions de champ d’application ne sont pas sans rapport avec la durée inhabituellement longue du projet d’élaboration de la norme par l’IASB – près de 10 ans-, qui a permis aux différentes parties prenantes d’obtenir ces aménagements sectoriels.

L’approche de cet article se veut néanmoins cohérente avec l’esprit initial de la norme IFRS 9, et plus généralement des normes IFRS en général, qui ont vocation à s’appliquer de façon transversale à tous les secteurs d’activité. Les sujets abordés le sont donc d’abord sous l’angle thématique, avec pour objectif de mettre en exergue certaines des évolutions les plus tangibles apportées par IFRS 9, ainsi que les enjeux qui en découlent sur le plan pratique.

Dans cette optique, les thèmes abordés sont :

Une synthèse de la norme IFRS 9 publiée par le normalisateur IASB est référencée en Annexe.

 

1 – Le modèle économique : un choix structurant

La norme IFRS 9 introduit une approche à deux dimensions pour définir les nouvelles catégories de rattachement des actifs financiers : d’une part la nature et les caractéristiques de l’instrument, d’autre part le modèle économique dans lequel il s’inscrit.

S’agissant du modèle économique, 3 catégories sont définies par la norme:

  • Détention pour collecte des Cash flows (Held to Collect/ HTC),
  • Détention pour collecte des Cash flows et vente des actifs (Held to Collect and Sell/ HTCS)
  • Autres modèles économiques, catégorie par défaut qui regroupe les actifs financiers gérés dans une optique de vente à court terme (trading) ou moyen terme.

Cette approche peut être synthétisée comme suit pour les actifs de dette (créances, prêts, et titres) :

Ce diagramme ne traite pas du cas des actifs financiers « equity » qui est étudié au §2.

La définition du modèle économique est particulièrement structurante pour les actifs de dette basiques « SPPI » – dont les critères sont analysés au §3 -, dans la mesure où elle conditionne la nécessité ou non d’une évaluation en juste valeur, et l’existence ou non d’une volatilité en résultat.

De plus, la norme définit le modèle économique non en fonction d’une intention de gestion, mais comme la résultante d’un mode de gestion objectivable et avéré, par exemple au regard de la façon dont la performance est évaluée, dont les managers sont rémunérés, ou dont les risques sont suivis. Cette définition suppose que chaque entreprise soit en mesure de définir clairement et a priori pour chacun de ses métiers le modèle économique pertinent.

En pratique néanmoins, cette définition n’est pas toujours aussi évidente. Ainsi, de nombreuses entreprises ont recours, afin d’optimiser leur besoin en fonds de roulement, à des cessions de créances commerciales, sous la forme d’opérations de factoring ou de titrisation. Dans ce contexte, 2 situations peuvent se présenter :

  • l’entreprise est capable d’identifier en amont avec précision les portefeuilles de créances destinés à être cédés, auxquels cas elle peut affecter ceux-ci en Trading/ Vente, et conserver les autres en coût amorti dans le cadre d’un modèle HTC.
  • l’entreprise n’est pas en mesure ou ne souhaite pas effectuer cette distinction a priori, mais préfère ajuster le montant des cessions au fur et à mesure, en fonction par exemple de l’évolution de son chiffre d’affaires, de la gestion du risque de crédit de ses grands clients, ou de son niveau d’endettement et de son impact sur ses covenants financiers ; dans ce cas, elle devra classer l’ensemble du portefeuille dans la catégorie intermédiaire HTCS, qui requiert une évaluation en juste valeur par capitaux propres.

Dans tous les cas, l’intégration de la notion de modèle économique dans la norme devrait modifier l’évaluation de ces portefeuilles qui étaient jusqu’à présent comptabilisés au coût historique.

Par ailleurs, dans le cadre de ces opérations de cession de créances, la décomptabilisation – i.e. la sortie des actifs du bilan ou « déconsolidation » – dépend du niveau de transfert des risques et avantages économiques au cessionnaire. Or la norme ne précise pas dans quelle mesure il est possible de continuer à évaluer les créances au coût historique dans le cadre d’une qualification en HTC lorsque les créances, bien qu’ayant été cédées juridiquement, ne sont pas décomptabilisées. Ainsi, la conservation du risque de crédit sur les débiteurs cédés, qui est un obstacle à la décomptabilisation des créances, n’entraîne pas la conservation de la collecte des flux qui y sont attachés, auquel cas la qualification des créances en HTC apparaît fragile.

Le cas de la syndication bancaire illustre également les enjeux de la définition pertinente ex ante du modèle économique. Un prêt est dit « syndiqué » lorsque plusieurs banques décident de s’associer pour accorder un concours à un client, afin de mutualiser leur risque de crédit sur des opérations de montants importants. Plus spécifiquement, dans le cadre d’une syndication « silencieuse », la banque chef de file avance la totalité de la somme à l’emprunteur et rétrocède la part qu’elle ne souhaite pas conserver aux banques participantes. Comme dans le cas du factoring de créances commerciales, l’objectif pour la banque chef de file est d’être capable de délimiter en amont de l’opération de syndication les portions conservées et rétrocédées, afin de les affecter respectivement à des portefeuilles qualifiés de HTC et de trading. Ainsi, sur un encours de 100, la banque peut choisir d’en conserver 40 (« final take »), affecté en HTC, et d’en replacer 60 (« overhold ») auprès des banques participantes.  Néanmoins, en pratique, si la banque est dès l’origine certaine d’en conserver au moins 25, et d’en replacer au moins 60, elle peut souhaiter différer son choix à hauteur de 15 (« best effort ») en fonction de son appétit pour le risque et des opportunités de marché. Dans ce contexte, 3 approches sont possibles :

  • affecter chaque tranche à un modèle économique distinct : HTC à hauteur de l’encours « final take » (60), Trading à hauteur de l’encours « overhold » (25), et HTCS à hauteur de l’encours « best effort » (15), ce qui permet de refléter l’incertitude de gestion relative à cette tranche intermédiaire ;
  • maximiser l’affectation de l’encours en HTC, par exemple sur le fondement de la limite de crédit (40) octroyée par la direction des risques, en deçà de laquelle l’encours peut être conservé. L’avantage est d’augmenter la part de l’encours qui sera comptabilisé en coût amorti ; mais l’inconvénient est de fragiliser la crédibilité de l’affectation en HTC pour les encours à venir si une part non marginale de ce portefeuille est finalement replacée auprès des banques participantes ;
  • minimiser l’affectation de l’encours en HTC, par exemple sur le fondement de l’anticipation de conservation réelle des opérationnels du métier (25), qui est souvent un plancher : dans ce cas le principal inconvénient est d’être obligé de qualifier de Trading, donc de réévaluer en JV par résultat l’encours conservé en excédent des anticipations (aussi appelé « colle de syndication »), d’autant plus que cette qualification n’est pas réversible : en effet, selon IFRS 9 et contrairement à la norme IAS 39 préexistante, le seul changement d’intention ne suffit pas à autoriser le reclassement d’un actif existant d’un modèle économique à un autre.

 

2 – Les instruments de capitaux propres (actions) : nouvelles règles, nouveaux enjeux

Le traitement comptable des actions en IFRS 9 représente l’une des évolutions les plus importantes par rapport à la norme préexistante IAS 39. Jusqu’à présent, les actions détenues étaient le plus souvent classées en « disponibles à la vente » (Available For Sale / AFS) et leur variation de valeur était enregistrée en capitaux propres (Other Comprehensive Income/ OCI), jusqu’à ce qu’elles soient cédées, ou dépréciées en cas de perte de valeur durable (« impairment »), ce qui impliquait de transférer alors en résultat – i.e. de « recycler » – la variation de valeur préalablement accumulée en OCI.

IFRS 9 introduit des règles très différentes :  une nouvelle catégorie est définie, à laquelle les actions peuvent être affectées sur option, qui présente les caractéristiques suivantes :

  • les actions sont réévaluées en juste valeur par capitaux propres (JV-OCI)
  • seuls les dividendes reçus restent enregistrés en résultat ; les plus-values et moins-values de cessions réalisées ne sont plus recyclées en résultat lors de la cession mais demeurent définitivement en capitaux propres, et la notion d’impairment est abandonnée.

Si l’option de classement en JV-OCI n’est pas retenue, ou si les actions sont détenues dans le cadre d’un modèle économique de trading, les actions sont réévaluées en juste valeur par résultat (JV-PL).

Par ailleurs, seuls les actifs qui répondent strictement à la définition d’un instrument de capitaux propres (« equity ») du point de vue de l’émetteur, au sens de la norme IAS 32 – Présentation des Instruments Financiers, sont désormais éligibles à la nouvelle catégorie JV-OCI. Ainsi, les parts de fonds collectifs remboursables à la juste valeur, – OPC ou « UCITS », bien qu’étant généralement classées en equity selon IAS 32, ne répondent ni à la définition d’un instrument de capitaux propres, ni à celle d’un instrument de dette basique « SPPI », et ne peuvent donc être classées qu’en JV-PL selon IFRS 9.

Enfin, la norme IFRS 9 impose désormais une valorisation obligatoire à la juste valeur, même en l’absence de d’évaluation fiable et de cotation sur un marché actif, alors qu’un maintien par exception au coût historique était permis en IAS 39 dans ces circonstances.

Cette nouvelle approche peut être synthétisée selon le schéma suivant :

Ces évolutions normatives impliquent pour une entreprise un choix entre stabilité du résultat dans le temps, synonyme de faible volatilité, et cristallisation de la performance globale en résultat, au prix d’une plus forte volatilité. Ce choix dépend notamment des caractéristiques de son portefeuille d’actions, de ses objectifs de gestion, et de son degré d’aversion à la volatilité de son résultat.

Ainsi, pour les instruments equity qui y sont éligibles,

  • l’option JV-OCI paraît pertinente pour une entreprise qui souhaite lisser la variation de son résultat dans la durée, comme c’est le cas pour certains investisseurs de long terme, ou dont le portefeuille est constitué de titres particulièrement volatils, ou encore dont une partie significative du rendement global attendu est constitué par les dividendes qui pourront continuer à être appréhendés en résultat.
  • A contrario, le classement en JV-PL peut s’avérer plus adapté pour une entreprise moins sensible à la stabilité de son résultat, ou dont une partie significative du rendement global attendu est constitué par la composante d’appréciation de valeur du portefeuille, qu’elle préfère pouvoir reconnaître en résultat au moment de la cession, afin de mieux refléter sa performance, ou de manière plus contrainte, en raison d’un adossement du portefeuille à des passifs dont la variation de valeur est également enregistrée en résultat.

Par ailleurs, une entreprise détenant des parts de fonds commun investis en actions souhaitant utiliser l’option JV-OCI, peut envisager d’y substituer une détention en direct des actions sous-jacentes, via une cession des parts et un rachat des sous-jacents, ou au contraire via un renforcement de la détention dans les fonds de telle sorte à devenir majoritaire et à les consolider.

 

3 – Le filtre SPPI : un retour aux basiques

La norme IFRS 9 impose une analyse des clauses contractuelles des actifs de dette (titres obligataires, prêts bancaires, et créances commerciales) :  si celles-ci sont qualifiées de basiques (ou « SPPI » :

Seulement des flux de Paiement de Principal et d’Intérêts), les actifs peuvent être comptabilisés au coût historique amorti ou en juste valeur par capitaux propres recyclables, selon qu’ils appartiennent respectivement à un portefeuille HTC ou HTCS (Cf. §1). A défaut, ils doivent être comptabilisés en Juste Valeur par résultat (JV-PL)

Cette approche se substitue à celle de la norme préexistante IAS 39, qui imposait des règles de comptabilisation différentes selon que le support de l’actif était un prêt ou un titre de dette, et qui analysait les clauses contractuelles comme des dérivés incorporés devant le cas échéant être bifurqués de leur contrats hôte de dette et valorisés en juste valeur par résultat, par exemple en cas d’effet de levier significatif.

A contrario, la notion de SPPI a vocation à englober dans une même catégorie les actifs de dette dont les caractéristiques apparaissent usuelles ou basiques.  Ainsi, pour une banque, un prêt « SPPI » comprend généralement une rémunération qui reflète le passage du temps (valeur temps de l’argent), le risque de contrepartie de l’emprunteur, et une composante additionnelle qui peut inclure la rémunération du risque de liquidité, les coûts de gestion administrative, et une marge commerciale.

En pratique néanmoins, la notion d’actif SPPI peut se révéler délicate à appréhender, du fait de la variété des instruments existants et de leurs caractéristiques contractuelles. Ainsi, un prêt générant des intérêts dont la fréquence de refixation du taux de l’actif et la maturité de l’index du taux de référence sont décorrélés, i.e. dont le taux d’intérêt de l’instrument financier est révisé périodiquement, mais dont la fréquence des révisions ne concorde pas avec la durée pour laquelle le taux d’intérêt est établi –  par ex un taux d’intérêt révisé mensuellement en fonction d’une référence de taux à 1 an telle que Euribor 12 Mois –  doit faire l’objet d’une analyse quantitative pour déterminer s’il peut être qualifié ou non de SPPI. Cet instrument s’éloigne en effet d’un prêt hypothétique de référence (« benchmark »), qui serait ici un prêt « parfait » dont le taux serait révisé mensuellement sur la base d’une référence de taux à 1 mois telle que Euribor 1 mois. L’analyse consiste à déterminer si l’écart entre la valeur des flux futurs non actualisés du prêt réellement accordé et celle du benchmark, simulé sur chaque période et en cumulé sur la durée de vie de l’instrument, est ou non significatif, sur la base de la courbe des taux en vigueur à l’origine ainsi que d’hypothèses « raisonnables » de son évolution sur l’horizon considéré.

Un autre exemple nécessitant une analyse poussée afin de déterminer si la qualification SPPI peut être retenue porte sur les actifs financiers émis par des véhicules de titrisation établissant un ordre de priorité de paiement entre les porteurs (« cascade des flux ») en créant ainsi des concentrations de risques de crédit sous forme de tranches. Dans ce cas, la norme impose d’identifier et d’analyser les caractéristiques des actifs financiers sous-jacents qui produisent les flux de trésorerie rémunérant les porteurs (« look-through »). D’autres types de clauses couramment incorporées dans les contrats, telles que les indemnités de remboursement anticipé, impliquent une analyse au cas par cas des paramètres de la formule de calcul de l’indemnité, pour statuer sur sa compatibilité avec une qualification SPPI, sur la base des précisions apportées par un amendement publié en 2017 (cf. article IFRS 9 : un compte à rebours mouvementé du 21 mars 2017 sur le contenu de cet amendement)

Dans ce contexte, on peut se demander dans quelle mesure l’objectif de l’approche SPPI, visant à réduire la complexité et le manque de cohérence inhérents à l’analyse des dérivés incorporés exigée par IAS 39, est atteint. La norme IFRS 9 ne se limite en effet pas à énoncer un principe, mais décline de manière détaillée ses modalités d’application au travers d’une série d’exemples « rule-based », dont l’exégèse devrait être à l’origine de la création d’une jurisprudence d’application nourrie et encore plus détaillée, comme cela avait été le cas en IAS 39 pour les seuils déclenchant la bifurcation entre les dérivés incorporés et leur contrat hôte. Par ailleurs, la conséquence de cette nouvelle approche, au regard des premières études d’impact réalisées, est d’accroître le champ de la comptabilisation à la juste valeur par résultat (JV-PL) par rapport à l’existant, donc de la volatilité en résultat. En effet, ce « filtre SPPI » s’applique en amont de la détermination du modèle économique, et exclut dès lors du champ du coût amorti ou de la juste valeur recyclable par capitaux propres (JV-OCI) certains instruments de financement destinés à être conservés jusqu’à échéance et utilisés couramment,  du seul fait de  l’existence de clauses contractuelles qualifiées de non-standard, mais dont la portée est pourtant  limitée : c’est le cas par exemple d’un prêt assorti d’une clause de conversion en actions en cas de défaut de de l’emprunteur, ou d’un prêt à taux variable révisé périodiquement sur une référence de taux de maturité constante de type « CMS ».

 

4 – Restructuration de dette : un changement radical intervenu au dernier moment

Une restructuration de dette se traduit par une modification contractuelle de ses flux futurs, sous la forme par exemple d’une révision de ses conditions d’intérêt ou d’un allongement de sa maturité.

Le traitement comptable de ces opérations devait normalement demeurer inchangé en IFRS 9 par rapport à la norme préexistante IAS 39, mais un amendement à IFRS 9 publié en octobre 2017 sur ce sujet a changé la donne pour les dettes qui sont maintenues au bilan après restructuration, autrement dit qui ne sont pas « décomptabilisées ». Jusqu’à présent, l’impact des restructurations de dette non décomptabilisantes se traduisait par une modification prospective du taux d’intérêt effectif (t.i.e.) qui prenait effet de manière étalée sur la durée résiduelle de la dette restructurée. Ce traitement comptable correspondait non seulement à la jurisprudence IAS 39, mais aussi au consensus de place sur l’application future d’IFRS 9 à ce type d’opération.

Or l’amendement de 2017 impose désormais de réévaluer la dette, en actualisant au t.i.e. d’origine de la dette initiale les flux contractuels futurs après restructuration, avec pour conséquence :

  • de constater immédiatement en résultat à la date de restructuration l’impact des modifications des flux de la dette restructurée,
  • d’étaler ultérieurement au sein du t.i.e, sur la durée de vie résiduelle de la dette restructurée, l’écart de réévaluation (surcote ou décote) de la dette constaté en date de restructuration, ce qui a pour effet de reconstituer les conditions de taux d’origine. (cf. article IFRS 9 : un compte à rebours mouvementé du 21 mars 2017 sur le contenu de cet amendement)

Cette nouvelle approche introduit en outre une différence de traitement entre les coûts de restructuration versés à des tiers (frais de dossier, commissions, honoraires de conseil), qui continuent à être étalés au sein du t.i.e comme en IAS 39, et les flux échangés directement entre l’emprunteur et les prêteurs, dont la modification impacte immédiatement le résultat.

La comparaison entre les deux approches, lorsque la dette est maintenue au bilan après restructuration, peut être synthétisée comme suit :

IAS 39IFRS 9
Coûts de restructuration versés à des tiers
  • Pas d’incidence en résultat lors de la restructuration ;
  • étalement ultérieur au sein du t.i.e.
  • Pas d’incidence en résultat lors de la restructuration ;
  • étalement ultérieur au sein du t.i.e.
Variation des flux contractuels de la dette (modification de taux, allongement de maturité,…)Pas d’incidence en résultat en date de restructuration à valeur de la dette inchangée au bilanIncidence en résultat en date de restructuration à ajustement de la valeur de la dette au bilan
Taux d’intérêt effectif (t.i.e) après restructurationReflète les nouvelles conditions de taux de la dette après la restructurationReconstitue les conditions de taux de la dette avant la restructuration

L’équation liée à une restructuration de dette s’en trouve dès lors modifiée pour l’emprunteur. En effet, jusqu’à présent, au regard d’IAS 39, la restructuration d’une dette n’entraînait un impact immédiat en résultat que si la dette était décomptabilisée, au titre des coûts de restructuration versés à des tiers, et des frais d’émission de la dette d’origine restant à étaler ; a contrario, en cas de maintien de la dette au bilan, la totalité de l’impact était étalé prospectivement sur la durée de vie résiduelle de la dette après restructuration et il n’y avait aucun impact immédiat en résultat en date de restructuration.

Au regard de la nouvelle approche IFRS 9, la restructuration d’une dette implique au contraire dans tous les cas un impact immédiat en résultat, dont les composantes sont néanmoins différentes selon que la dette est ou non décomptabilisée en date de restructuration ; cet impact peut être synthétisé comme suit :

IFRS 9 – dette d’origine maintenue au bilan IFRS 9 – dette d’origine décomptabilisée ; comptabilisation d ‘une « nouvelle » dette
Coûts de restructuration versés à des tiersPas d’incidence en résultat

Etalement au sein du t.i.e sur la durée de vie résiduelle de la dette

Incidence immédiate en résultat
Frais d’émission restant à étaler sur la dette d’originePas d’incidence en résultat

Etalement au sein du t.i.e sur la durée de vie résiduelle de la dette

Incidence immédiate en résultat
Variation des flux contractuels de la detteIncidence immédiate en résultat = Valeur actuelle des nouveaux flux – Valeur actuelle des flux d’origine (actualisation au taux d’origine)Pas d’incidence en résultat
Taux d’intérêt effectif (t.i.e) après restructurationReconstitue les conditions de taux de la dette avant la restructurationReflète les nouvelles conditions de taux de la dette après la restructuration

Dès lors, l’analyse de l’impact d’une restructuration de dette devra désormais prendre en compte ces nouvelles dispositions. Ainsi, l’emprunteur qui souhaite bénéficier de conditions de taux renégociées à la baisse pourra orienter la restructuration de telle sorte à ce que sa dette soit décomptabilisée, à condition d’accepter l’impact négatif immédiat sur le résultat de la période, lié aux coûts de restructuration et aux frais d’émission restant à étaler de la dette d’origine. A contrario, un emprunteur qui subit une révision à la hausse de sa charge d’intérêt, liée par exemple à un allongement de la maturité restante ou à une hausse de son spread de crédit par rapport à l’origine, pourra orienter la restructuration de telle sorte que la dette d’origine soit maintenue au bilan, afin de conserver une charge d’intérêt future bonifiée correspondant aux conditions d’origine, en contrepartie d’ un impact négatif immédiat en résultat lié à la révision des flux d’intérêt futurs.

Dans tous les cas, un emprunteur pourrait choisir de profiter de la première année d’application d’IFRS 9, et de la communication financière spécifique associée, pour réaliser les restructurations de dette nécessaires, dont l’impact en résultat serait alors intégré à celui des autres incidences liées à l’entrée en vigueur de la nouvelle norme.

 

5 – Comptabilité de couverture : le changement dans la continuité

La norme IFRS 9 ne modifie pas les fondamentaux de la comptabilité de couverture tels que définis par la norme IAS 39 préexistante. Ainsi, les 3 types de relations de couverture définis par IAS 39 – juste valeur (« fair value hedge »), flux de trésorerie (« cash-flow hedge ») et investissement net en devises (« net investment hedge »)– subsistent, ainsi que leur traitement comptable, dont le dénominateur commun est l’application d’un principe de symétrie dans la comptabilisation en résultat des effets de la couverture ;  cette symétrie de traitement permet notamment de neutraliser ou de réduire la volatilité qui résulterait sinon de la comptabilisation des variations de juste valeur (« Mark-to-Market ») des instruments de couverture – en général des dérivés- en compte de résultat. Par ailleurs, la qualification comptable de la couverture reste subordonnée à l’existence d’une documentation explicite, et l’inefficacité éventuelle de la couverture par rapport à l’élément couvert doit toujours être mesurée et comptabilisée à part.

Néanmoins, IFRS 9 élargit le champ des couvertures éligibles, en introduisant plus de flexibilité, afin d’inciter les entreprises à mieux refléter comptablement leur pratique de gestion.  Ainsi, les tests quantitatifs d’efficacité sont supprimés, ce qui permet d’éviter une déqualification arbitraire d’une couverture en « trading » liée au non- respect d’un seuil minimum (80-125%) de corrélation entre instrument de couverture et élément couvert.

Parmi les avancées découlant de cet objectif, on peut mentionner :

  • la possibilité de couvrir des positions agrégées, c’est à dire ayant déjà fait l’objet d’une première couverture : ainsi, une dette à taux fixe swappée à taux variable peut faire l’objet d’une seconde couverture, pour reconstituer par exemple au moyen d’un achat de cap une protection contre la hausse des taux ; de même, un achat futur de matière première couvert au titre du risque de prix en USD, peut faire l’objet d’une seconde couverture au titre du risque de change USD/ EUR.
  • la possibilité de couvrir une composante de risque relative à une exposition non financière : ainsi, la composante caoutchouc du prix d’un stock de pneus, ou la composante plomb du prix d’un achat futur de batteries pourra désormais être désignée de façon spécifique comme élément couvert par des instruments dérivés traités sur marchés organisés, ce qui permet d’exclure de la relation de couverture les éléments d’inefficacité structurelle liés aux autres composantes du prix.

En pratique, une évolution notable est l’introduction d’une notion de « coût de la couverture », susceptible de modifier substantiellement la comptabilisation des couvertures effectuées au moyen d’instruments dérivés à terme fermes (forwards) ou conditionnels (options), quel que soit le risque sous-jacent couvert (change, taux, matières premières). Dans ce cadre, la norme propose désormais d’assimiler la valeur temps d’une option, qui reflète la volatilité du sous-jacent, ou celle d’un forward, qui reflète le différentiel entre prix spot et prix à terme –  à un coût de la couverture et non plus à une composante d’inefficacité de celle-ci, ce qui conduit à comptabiliser la variation « Mark-to-Market (MtoM) de ces éléments, source de volatilité, en capitaux propres (Other Comprehensive Income/ OCI) et non plus en résultat (P&L).

Cette nouvelle approche se décline comme suit :

  • Elle est applicable seulement si l’entreprise choisit de scinder comptablement le dérivé afin de ne documenter en couverture que la composante de valeur intrinsèque d’une option, ou la composante « spot » d’un forward. Dans le cas contraire, c’est la totalité de l’instrument qui est documenté en couverture et la variation MtoM de la valeur temps du dérivé impacte le résultat.
  • La variation de valeur de la composante de coût de la couverture, préalablement accumulée en capitaux propres/ OCI, est comptabilisée ultérieurement en fonction de la qualification de la relation de couverture, soit comme une couverture de transaction, soit comme une couverture de période :
    • Une couverture de transaction est la couverture d’un risque relatif à une transaction future : risque de prix lié à un achat futur de matière ou d’immobilisation, risque de taux lié à une émission future de dette, risque de change lié à un chiffre d’affaire futur en devises ; le coût de la couverture associé s’assimile alors à un coût de transaction, qui est incorporé dans la valeur de celle-ci lors de la survenance de la transaction ;
    • une couverture de période est la couverture du risque d’une position existante pendant une période déterminée : risque de taux d’une dette à taux variable pendant 2 ans, risque de variation de prix d’un stock de marchandises pendant 6 mois, risque de change d’une créance commerciale ou d’une dette fournisseur en devises pendant 3 mois, risque de change d’un investissement net en devises dans une filiale étrangère pendant 18 mois ; le coût de la couverture associé s’assimile alors à une prime d’assurance, qui est étalée prorata temporis sur la période de couverture.
  • L’approche ne s’applique qu’à hauteur de la « valeur temps alignée », c’est-à-dire de la valeur temps se rattachant exclusivement à l’élément couvert. Ainsi pour une option, la valeur temps est alignée si les caractéristiques clés de l’option (telles que la valeur nominale, la durée et le sous-jacent) sont identiques à celles de l’élément couvert. A défaut, la composante « non alignée » est traitée comme de l’inefficacité et comptabilisée en compte de résultat.
  • Par extension, l’approche du coût de la couverture est également applicable de manière facultative au « basis » de change des swaps de devises, tel qu’un cross-currency swap USD/EUR : cette composante correspond au coût de conversion d’une devise contre une autre, et reflète l’appétence relative des intervenants de marché pour une devise donnée liée à des facteurs tel que le risque pays ou la croissance économique anticipée d’une zone géographique.

L’approche applicable aux options peut être synthétisée par le diagramme suivant :

Ce diagramme peut s’appliquer également aux contrats de forward, en tenant compte des particularités suivantes :

  • Dans le cas d’un forward, le coût de la couverture correspond à l’écart entre le prix spot et le prix à terme : ce sont les points de terme (tels que le Report/ déport pour les dérivés de change), qui reflètent le coût de portage, et dont la valeur ne dépend pas, contrairement à une option, de la volatilité du sous-jacent
  • L’entreprise utilisant un forward en couverture doit effectuer 2 choix successifs : scinder comptablement ou non le forward entre prix spot et points de terme pour la documentation de couverture, comme pour une option ; puis choisir ou non l’approche « coût de couverture » pour les points de terme, alors que pour une option, l’approche « coût de couverture » est obligatoire en cas de décomposition du dérivé. Si ce second choix n’est pas exercé, la variation de valeur temps du forward impacte le résultat en MtoM.
  • En cas de documentation de la totalité du forward en couverture, IFRS 9 permet, comme IAS 39, de revaloriser l’élément couvert sur la base du cours à terme, dans la mesure où l’effet d’actualisation lié au passage du temps est inclus aussi bien dans l’instrument de couverture que dans la position couverte. En conséquence, ce choix de documentation permet, dans le cas où la maturité du forward coïncide avec celle de l’élément couvert, de ne pas constater de volatilité en résultat au titre de la valeur temps, ce qui ne serait a contrario pas possible avec une option documentée en couverture pour sa totalité, dans la mesure où la position couverte ne contient pas de composante optionnelle miroir.

Au regard de ce qui précède, l’intérêt pour une entreprise d’utiliser la nouvelle approche d’IFRS 9 relative au coût de la couverture, dépend de la nature et de la complexité des instruments de couverture qu’elle utilise :

  • Elle apparaît plus pertinente pour les options que pour les forwards, car dans ce dernier cas, la documentation sur la base du cours à terme permet déjà dans la plupart des cas de ne pas supporter de volatilité MtoM en résultat.
  • Appliquée aux options, elle apparaît particulièrement adaptée à celles dont les caractéristiques (valeur nominale, durée et sous-jacent) sont parfaitement alignées sur celles de l’élément couvert. En revanche, dans le cas contraire, la nécessité de simuler la variation MtoM d’une option hypothétique afin de la comparer à celle de l’option réelle est source de complexité opérationnelle, à laquelle s’ajoute la volatilité en résultat induite par la composante non alignée de la valeur temps de l’option. Dès lors, la documentation de la totalité de l’option en couverture mérite d’être envisagée : cette solution est en effet rendue possible par la suppression de la fourchette d’efficacité minimale (80/125%) précédemment imposée par IAS 39, qui permet désormais d’éviter que l’inefficacité structurelle liée à la variation de la valeur temps ne déqualifie la relation de couverture, à condition que cette source d’inefficacité soit explicitée dans la documentation d’origine.

 

6 – Annexe : synthèse de la norme IFRS 9 publiée par l’IASB

 

 Avertissement

L’objectif de cet article, publié par Accounting Partner, est d’informer ses lecteurs de sujets d’actualité IFRS. Il ne peut en aucun cas être assimilé, en totalité ou partiellement, à une opinion délivrée par Accounting Partner, Accounting Partner décline toute responsabilité relative aux éventuelles erreurs ou omissions que cette publication pourrait contenir. La rédaction de cet article a été achevée le 4 avril 2018 © Accounting Partner –avril 2018 – Tous droits réservés

 

 

Norme IFRS 9 : un compte à rebours mouvementé

La norme IFRS 9 – instruments financiers, entrera en application au 1er janvier 2018 et se substituera à la norme IAS 39 actuellement en vigueur.

Deux questions d’interprétation de cette norme sont actuellement en cours de discussion au niveau de normalisateur IASB et de son instance d’interprétation l’IFRS – IC. La première propose une nouvelle approche pour la comptabilisation des prêts avec option de remboursement anticipé, du point de vue du prêteur ; la seconde porte sur la comptabilisation d’une restructuration de dette, du point de vue de l’emprunteur.

Ces deux questions ont pour  trait commun d’avoir été mises sur la table dans la dernière ligne droite précédant l’entrée en vigueur de la norme, de bouleverser des pratiques bien établies, et d’avoir potentiellement des conséquences importantes sur le compte de résultat des entités concernées.  Il apparaît dès lors prévisible qu’elles suscitent un débat nourri dans les mois à venir, au fur et à mesure que leurs modalités définitives seront précisées par le normalisateur.

Les références des documents émis par l’IASB et l’IFRS-IC en support de ces deux questions sont données en annexe.


1 – Un amendement à la norme IFRS 9 propose une nouvelle approche pour la comptabilisation des prêts avec option de remboursement anticipé

La question, soumise en novembre 2016 à l’IFRS-IC, porte sur la possibilité de qualifier un actif financier de taux d’intérêt (prêt ou  titre de créance) comportant  une variante d’options de remboursement anticipé comme un instrument de crédit basique ou « SPPI » (Solely Paiement of Principal and Interest ). La qualification d’un actif financier comme SPPI, qui suppose notamment l’absence d’un effet de levier ou d’une composante de structuration, permet de le classer soit en coût amorti, soit en « juste  valeur par capitaux propres » selon le business model  dans lequel il s’inscrit, par contraste avec une comptabilisation obligatoire en « juste valeur par résultat » si la qualification comme SPPI n’est pas admise.

Les options de remboursement anticipé en question sont des options à pénalités « symétriques », qui génèrent  un flux de trésorerie – i.e. une pénalité ou compensation –  dont le sens, positif ou négatif – dépend de l’évolution des conditions de marché depuis la date de mise en place du prêt. Par contraste,  les  options « asymétriques » ne peuvent donner lieu qu’à une compensation positive de la part de l’emprunteur, c’est-à-dire au versement par ce dernier d’une indemnité à la banque prêteuse, quel que soit le sens de l’évolution des taux d’intérêt depuis l’origine. Or les options symétriques s’imposent désormais comme le standard de marché dans les contrats de prêt accordés par les banques européennes, sous l’impulsion notamment de la  directive MIFID et du principe de « suitability», qui requièrent  un équilibre légitime entre prêteur et emprunteur , ainsi qu’une transparence accrue dans la mise en lumière des risques d’un emprunt à taux fixe.

Sur le plan normatif, l’IASB considère que, dans sa rédaction actuelle, les prêts comportant des options symétriques ne sont pas éligibles à la qualification SPPI, car le prêteur est susceptible de se voir imposer par l’emprunteur de ne pas récupérer la totalité de sa créance. Les prêts comportant des options symétriques devraient par conséquent être classés dans la catégorie « juste valeur par résultat », ce qui engendrerait une volatilité significative en résultat liée à l’évolution non seulement des taux d’intérêt mais également du risque de signature de l’emprunteur.

Pour remédier à cette anomalie, l’IASB a proposé début 2017 un amendement à la norme IFRS 9, qui permettrait, s’il était adopté,  de qualifier également les prêts comportant des options symétriques en « SPPI ». Cet amendement aurait les caractéristiques suivantes :

  • Deux situations d’exercice de la faculté de remboursement anticipé seraient concernées: celles à la main de l’emprunteur et celles à la main du prêteur. Ces deux situations sont déjà compatibles avec une qualification SPPI selon IFRS 9, sous réserve que  l’option soit asymétrique, c’est-à-dire que l’entité ayant  la faculté de déclencher le remboursement anticipé soit aussi celle qui indemnise la partie qui le subit. La nouveauté de l’amendement envisagé est de permettre  un classement SPPI même lorsque c’est la partie à l’initiative du remboursement anticipé qui est indemnisée par la partie qui le subit, par exemple lorsque  l’emprunteur peut en même temps exercer l’option et recevoir une indemnité de la banque prêteuse. L’impact de l’amendement sur le périmètre des prêts comportant des options de remboursement anticipé éligibles à la qualification SPPI peut être synthétisé comme suit :

 

Avant amendementAprès amendement

Option asymétrique

  • Remboursement initié par l’emprunteur
  • Remboursement initié par le prêteur

Eligible SPPI

  • Coût amorti ou variation de valeur en capitaux propres

Eligible SPPI

  • Coût amorti ou variation de valeur en capitaux propres

Option symétrique

  • Remboursement initié par l’emprunteur
  • Remboursement initié par le prêteur

Non éligible SPPI

  • Variation de valeur en résultat

Eligible SPPI

  • Coût amorti ou variation de valeur en capitaux propres
  • L’amendement  exclurait néanmoins de son périmètre d’application :
    • d’une part les options de remboursement à la juste valeur du prêt, autrement dit les options dont l’exercice entraîne le versement ou la réception d’un montant égal à la différence entre la juste valeur et le capital restant dû du prêt ;
    • d’autre part, les options dont l’exercice entraîne pour la banque un gain ou une perte équivalant à l’effet du dénouement anticipé de la couverture de taux d’intérêt mise en place, par exemple sous forme de swap.
  • Selon l’IASB, ces exclusions sont justifiées par le fait que ces modalités de calcul s’écarteraient de la compensation de la seule perte de marge d’intérêt sur le prêt remboursé par anticipation. Elles peuvent néanmoins surprendre :
    • une option de remboursement à la juste valeur implique la prise en compte dans son calcul de la variation du spread de crédit – c'est-à-dire du risque de signature - de l’emprunteur ; or cette approche est en phase avec la définition d’un taux d’intérêt de marché sur un instrument de dette comme incluant la composante de risque de crédit, que le normalisateur a lui-même proposée en 2016 dans le cadre d’une discussion sur les taux d’intérêts négatifs ;
    • le coût de dénouement par anticipation de la couverture de taux d’intérêt est la meilleure approximation possible de l’impact des seules variations des taux d’intérêt sur la valeur d’un prêt à taux fixe, permettant de couvrir le risque de perte de marge d’intérêt. Il ne s’en écarte qu’au titre du risque de crédit associé à la valeur de marché du dérivé de couverture, qui demeure le plus souvent d’autant plus marginal qu’il est collatéralisé et dès lors non facturé par la banque à son client. C’est pourquoi cette modalité de contractualisation des options de remboursement anticipé est d’ailleurs particulièrement répandue et son exclusion du champ d’application de l’amendement proposé susceptible de restreindre sensiblement sa portée pratique.
    • ces exceptions pourraient par ailleurs remettre en cause la qualification comme SPPI des prêts comportant des options asymétriques déterminées selon l’une de ces deux modalités contractuelles, qui correspond pourtant à ce jour à la position de place communément admise au regard d’IFRS 9. En effet, le normalisateur justifie ces deux exclusions de périmètre par sa volonté de ne pas élargir les critères de qualification SPPI actuellement applicables, qui selon lui ne seraient pas compatibles avec des options asymétriques dont les modalités contractuelles seraient calculées de cette façon ; ce qui revient à prendre position sur l’application de la qualification SPPI aux instruments existants indépendamment de l’amendement proposé. Cette nouvelle approche impliquerait en outre que la comptabilisation en coût amorti qui prévaut aujourd’hui selon IAS 39 pour cette catégorie d’instruments ne serait plus possible demain, alors qu’elle n’avait pas vocation à être modifiée par l’entrée en application d’IFRS 9.
  • l’amendement imposerait que la  juste valeur de ces options symétriques soit proche de zéro à l’origine,  comme condition d’éligibilité additionnelle à la  qualification SPPI. Cette contrainte supplémentaire vise à écarter la possibilité que les prêts concernés incluent des cash-flows « non SPPI ». Sa logique n’est cependant pas évidente  car de deux choses l’une :

  • soit le remboursement anticipé s’effectue à la juste valeur du prêt, auquel cas l’option vaut effectivement zéro à l’origine et aussi ultérieurement, mais ce cas de figure est exclu du champ du « SPPI » par l’amendement envisagé ;
  • soit la pénalité de remboursement anticipé ne porte que sur la composante de taux d’intérêt du prêt, à l’exclusion du spread de crédit ; dans ce cas, l’option rentre dans le champ d’application de l’amendement , mais sa valeur à l’origine peut être significative : elle correspond à sa « valeur temps » au titre de la composante de spread de crédit fixée dès l’origine, liée à la hausse future potentielle de ce spread, d’autant plus importante que la durée de l’instrument est longue.

L’objectif affiché par l’IASB est d’autoriser l’application de cet amendement en même temps que la norme IFRS 9, soit dès 2018. C’est pourquoi un exposé-sondage est attendu dès avril 2017, pour  une publication définitive avant la fin 2017. Dans l’hypothèse où ce calendrier se révélerait trop serré, notamment du fait des délais nécessaires à la résolution des questions évoquées ci-dessus,  une solution alternative serait une application obligatoire postérieure à 2018, avec une possibilité d’application anticipée dès 2018. Au niveau français, il est peu probable que cet amendement soit d’application obligatoire dès 2018, compte tenu des délais inhérents au processus de validation des normes IFRS dans le droit européen.


2 – Une décision de l’IFRS-IC remet en question la pratique existante de comptabilisation d’une restructuration de dette

La question, soumise en  novembre 2016 à l’IFRS-IC, a trait à la comptabilisation par l’emprunteur, au regard de la norme IFRS 9, de la restructuration d’une dette. Le cas de figure visé concerne le cas où la dette n’est pas décomptabilisée après avoir été restructurée, c’est-à-dire où elle est maintenue au bilan sans qu’il y ait substitution d’un nouvel instrument de dette à la dette existante. La restructuration d’une dette se traduit le plus souvent par une modification contractuelle de ses flux futurs,  et intervient soit pour des raisons commerciales,  afin de tenir compte d’une évolution des conditions de marché depuis sa date de sa mise en place, soit du fait de difficultés financières existantes ou anticipées de l’emprunteur, afin de favoriser les conditions d’un retour à meilleure fortune.

Dans sa rédaction actuelle, la norme IFRS 9 ne traite explicitement de l’impact d’une restructuration de dette qu’en ce qui concerne les coûts encourus lors de l’opération – frais de dossier, commissions de structuration , honoraires de conseil  – , et non la modification proprement dite des flux contractuels de la dette, liée par exemple à une altération de ses conditions d’intérêt ou à un allongement de sa maturité. L’enjeu est important, car il s’agit de déterminer si l’effet de la modification des flux doit être appréhendé en résultat immédiatement, au travers d’une réévaluation de la dette, ou s’il doit conduire à une modification du taux d’intérêt effectif (t.i.e) de la dette sans impact en résultat lors de la restructuration.

La réévaluation de la dette, si elle a lieu,  est la conséquence de l’actualisation au t.i.e. d’origine des flux contractuels futurs après restructuration : cette actualisation modifie le coût amorti de la dette – c’est-à-dire sa valeur comptable au bilan – et entraîne un ajustement en résultat. L’étalement ultérieur en résultat, sur la durée de vie restante de la dette restructurée, de la décote ou de la surcote résultant de la modification du coût amorti, permet par ailleurs de reconstituer – aux frottements d’actualisation près – le t.i.e. de la dette d’origine. Alternativement,  si la modification des flux se traduit conjointement par une réinitialisation du t.i.e. de la dette, son coût amorti,  qui représente à tout moment l’actualisation des flux futurs au t.i.e,  n’est pas affecté, et n’entraîne par conséquent aucun ajustement en résultat au moment de la restructuration.

Dans ce contexte, l’IFRS-IC,  considère que la seule approche compatible avec la norme IFRS 9 est la  constatation d’un ajustement en résultat, corrélatif d’une modification du coût amorti de la dette en date de restructuration. Cette position s’appuie sur le principe d’intangibilité – ou de continuité – du t.i.e d’une dette comptabilisée au coût amorti, qu’il est cohérent d’appliquer dans le cas où il y a continuité de l’instrument de dette au bilan après restructuration. Ce principe n’est pas formulé en tant que tel dans la norme,  mais est inféré de son application à d’autres situations analogues associées à une évolution des flux futurs d’un instrument de dette : modification des flux contractuels résultant d’une restructuration de créance, révision des estimations de flux d’un instrument financier (dette ou créance), et calcul de la variation des flux de perte attendue («expected loss ») d’une créance.

Or cette nouvelle approche, si elle était confirmée, constituerait un changement de jurisprudence dans le traitement des restructurations de dette sans décomptabilisation, dont l’effet peut être synthétisé comme suit :

Avant décision de l’IFRS-IC

Après décision de l’IFRS-IC

Coûts encourus lors de la restructuration (frais de dossier, commissions, honoraires de conseil…)Pas d’incidence en résultat lors de la restructuration

 

Pas d’incidence en résultat lors de la restructuration

 

Modification contractuelle des flux futurs de la dette

Pas d’incidence en résultat lors de la restructuration :

  • continuité du coût amorti
  • nouveau  t.i.e. sur la durée résiduelle

Incidence en résultat lors de  restructuration :

  • ajustement du coût amorti
  • continuité du t.i.e. d’origine sur la durée résiduelle

La position défendue par le normalisateur comporte néanmoins des éléments de fragilité :

  • Si la norme IFRS 9 ne traite pas directement de l’effet des modifications de flux futurs dans le cadre d’une restructuration de dette, elle le fait néanmoins indirectement via le traitement des coût encourus à cette occasion ; or ces coûts, lorsqu’il y a continuité de la dette au bilan de l’emprunteur, n’entraînent aucune incidence en résultat lors de la restructuration, ce qui laisse penser que si les modifications de flux futurs avaient dû faire l’objet d’un traitement différent, la norme l’aurait explicitement indiqué.
  • Le normalisateur s’appuie sur une disposition d’IFRS 9 qui prévoit de comptabiliser immédiatement en résultat les effets d’une révision d’estimation des flux futurs d’un instrument financier. Or il n’est pas évident de considérer qu’une modification contractuelle des flux d’une dette est de même nature qu’une révision d’estimation, qui correspondrait plutôt à une variation des anticipations de flux liées à des remboursements avant l’échéance ou à des pertes futures attendues.
  • Le normalisateur se fonde également sur l’analogie avec le traitement des restructurations de créances sans décomptabilisation selon IFRS 9; il en déduit que cela justifierait une approche nouvelle des restructurations de dette par rapport à la norme actuelle IAS 39, qui ne contient pas ces dispositions spécifiques aux restructurations de créances. Or l’IASB a déjà exprimé par le passé, par exemple en 2012 au sujet de la restructuration de la dette grecque, ou en 2016 au sujet de la décomptabilisation d’actifs financiers résultant d’une restructuration de créances, la difficulté d’établir une équivalence normative entre une restructuration de créance et une restructuration de dette.
  • Enfin, les évolutions proposées par rapport à la norme actuelle IAS 39 ont été systématiquement mises en exergue et discutées dans le cadre du processus d’élaboration de la nouvelle norme IFRS 9. Au terme de ce processus, certaines dispositions ont été volontairement reprises à l’identique, dont précisément celles relatives aux restructurations de dette. Il n’est donc pas simple de conclure aujourd’hui à une évolution normative sur ce thème d’une norme à l’autre.

A ce stade, l’IASB a décidé de rendre sa position officielle sur cette question au travers d’une « décision d’agenda » de l’IFRS -IC, de préférence à  une interprétation en bonne et due forme, dont l’entrée en vigueur n’aurait pu coïncider avec celle d’IFRS 9 compte tenu des délais nécessaires à son élaboration. Néanmoins,  ce format de publication minimaliste, synonyme d’ une simple confirmation ou clarification d’une position directement inscrite dans la norme,  et qui ne nécessite donc pas d’appel formel à commentaire,  prête à discussion  :  il suppose en effet, lorsque la question traite d’une problématique partagée par un grand nombre d’entités comme c’est le cas ici,  l’existence d’un large consensus sur la question posée, doublé d’une pratique de place homogène et conforme à la position du normalisateur.

Or, au cas présent, ces conditions ne sont pas réunies :

  • cette position s’inscrit en contradiction avec la pratique actuelle, qui consiste à modifier le t.i.e. de la dette lors de la restructuration, sans incidence en résultat, par homogénéité avec le traitement des coûts encourus à cette occasion ;
  • cette position va également à l’encontre de la position de place, qui considère que la pratique actuelle reste a minima compatible avec IFRS 9, dans la mesure où les dispositions sur ce thème ont été reprises à l’identique de la norme actuelle IAS 39.

En outre, une « décision d’agenda » ne prévoyant pas de modalités de transition spécifiques, cette nouvelle approche serait appliquée rétroactivement, et pourrait dès lors avoir pour certaines entités une incidence significative sur les capitaux propres en date de première application d’IFRS 9, dans le cas où la dette existante aurait fait l’objet d’une restructuration antérieure.

Si l’IASB devait néanmoins confirmer sa position sur cette question, en dépit des objections de fond et de forme discutées ci-dessus, cela constituerait un changement de jurisprudence important qui devrait être intégré et, le cas échéant, anticipé par les emprunteurs. En effet, un emprunteur pourrait choisir d’éteindre la dette existante – c’est à dire de la décomptabiliser –  pour la remplacer par une nouvelle dette, plutôt que de la restructurer, afin d’éviter une incidence immédiate en résultat. Par ailleurs, dans l’hypothèse où une restructuration de dette est déjà programmée,  et qu’elle ne donne a priori pas lieu à décomptabilisation, un emprunteur pourrait souhaiter la mettre en œuvre avant l’entrée en application d’IFRS 9 en 2018, ce qui éviterait également une incidence immédiate en résultat, même si  l’incidence sur les capitaux propres d’ouverture subsisterait du fait de l’application rétroactive de cette nouvelle approche.


Annexe : références des papiers de discussion de l’IFRS-IC et de l’IASB

Amendement IFRS 9 sur les options de remboursement anticipé

  • Board IFRS –IC novembre 2016 – Agenda Paper 7

http://www.ifrs.org/Meetings/MeetingDocs/Interpretations%20Committee/2016/November/AP07%20-%20IFRS%209-Symmetric_make_whole_and_FV_prepayment_options_final.pdf

  • Board IASB décembre 2016 – Agenda Paper 12F

http://www.ifrs.org/Meetings/MeetingDocs/IASB/2016/December/AP12F-IFRS-Implementation-Issues.pdf

  • Board IASB janvier 2017 – Agenda Paper 3

http://www.ifrs.org/Meetings/MeetingDocs/IASB/2017/January/AP03-IFRS-9-FI.pdf

  • Board IASB février 2017 – Agenda Paper 3

http://www.ifrs.org/Meetings/MeetingDocs/IASB/2017/February/AP03-Symmetric-Prepayment-Options.pdf

Position IFRS-IC sur les restructurations de dette selon IFRS 9

  • Board IFRS-IC novembre 2016 – Agenda Paper 6

http://www.ifrs.org/Meetings/MeetingDocs/Interpretations%20Committee/2016/November/AP06-Modified_financial_liabilities.pdf

  • Board IFRS-IC mars 2017 – Agenda Paper 11

http://www.ifrs.org/Meetings/MeetingDocs/Interpretations%20Committee/2017/March/AP11-Modification_of_financial_liabilities-Feedback_from_the_Board.pdf

  •  Board IFRS -IC Update –  mars 2017 – Committee Tentative Agenda Decisions – IFRS 9

https://s3.amazonaws.com/ifrswebcontent/2017/IFRIC/March/IFRIC-Update-March-2017.pdf

Avertissement : l’objectif de cet article, publié par Accounting Partner,  est d’informer ses lecteurs de sujets d’actualité IFRS. Il ne peut en aucun cas être assimilé, en totalité ou partiellement, à une opinion délivrée par Accounting Partner, Accounting Partner décline toute responsabilité relative aux éventuelles erreurs ou omissions que cette publication pourrait contenir. La rédaction de cet article a été achevée le 27 mars 2017 © Accounting Partner –mars 2017 – Tous droits réservés

 

Nouvelle norme IFRS 15 sur la reconnaissance du chiffre d’affaires : réforme ou révolution ?

(Article paru sur le site de Demos Formation)

La nouvelle  norme IFRS 15 sur la comptabilisation du chiffre d’affaires a été publiée par le normalisateur comptable international IASB en Mai 2014, après plusieurs années de réflexions et de discussions menées avec les parties intéressées.  Cette norme , commune aux IFRS et aux US GAAP, se substitue aux textes IFRS existants sur le sujet, notamment aux normes IAS 11 et IAS 18.  Elle s’appliquera  de façon obligatoire aux entreprises soumises aux IFRS à compter du 1er janvier 2017. Elle concerne quasiment tous les secteurs de l’économie, industrie et services, financiers et non financiers. Elle remet à plat les modalités de comptabilisation du chiffre d’affaires, notamment en introduisant la notion d’obligation de performance qui devient la nouvelle unité de compte au sein d’un contrat et en gommant la distinction traditionnelle entre biens et services. Nous exposons et illustrons ci-dessous les principales étapes requises par IFRS 15 pour comptabiliser le chiffre d’affaires résultant de la signature d’un contrat avec un client.

diagramme d'analyse IFRS

Etape 1 : Identification du périmètre relatif au contrat

La plupart du temps, cette étape ne pose pas de problème. Néanmoins, dans certains cas, les questions suivantes peuvent se poser :

  • Quelle est la date à partir de laquelle le contrat doit-être comptabilisé ? normalement, il s’agit de la date à partir de laquelle les parties sont liées par leurs engagements réciproques. En pratique, la norme considère que le contrat existe dès lors que l’une des parties doit verser à l’autre une indemnité de rupture, même lorsqu’aucune des parties n’a commencé à exécuter le contrat, auquel cas la norme impose la fourniture d’une information en annexe
  • S’ agit-il d’une relation commerciale ou d’une relation de partenariat ? Ainsi, la norme prévoit qu’un client ne peut être celui avec qui on s’associe pour partager les risques et avantages liés au développement d’un produit ou d’une activité, configuration que l’on trouve par exemple dans le domaines des biotechnologies pour développer un nouveau procédé, ou dans le secteur minier ou des hydrocarbures pour partager les coûts de prospection d’un nouveau site. Ces contrats seront donc exclus du périmètre de la norme.
  • Comment identifier le client ? la réponse n’est pas toujours évidente lorsqu’il existe un intermédiaire, auquel cas il est nécessaire d’analyser les rôles respectifs des parties prenantes pour savoir si le client est bien l’intermédiaire, ou si ce dernier  n’est qu’un agent qui intervient pour le compte du donneur d’ordre auprès  du client final. Ainsi un fournisseur d’accès internet fera souvent appel à un  intermédiaire pour  délivrer au client final un service, tel que l’exploitation de la  base de données utilisateurs qu’il détient.  En fonction du  degré d’exposition  de l’intermédiaire aux risques et avantages économiques de la relation avec le client final – liberté de fixation du prix, exposition en cas de défaut de paiement-  ce dernier sera considéré  comme un agent du fournisseur d’accès ou comme son client.

Etape 2 : Identification des obligations de performance distinctes

Cette étape constitue une nouveauté importante par rapport à la pratique existante qui s’appuie sur le contrat comme « unité de compte ». A contrario, selon la nouvelle norme,  Il convient de déterminer s’il existe plusieurs obligations de performance devant être comptabilisées distinctement au sein d’un même contrat. Cette analyse s’articule notamment sur la possibilité que le bien ou le service sous-jacent à l’obligation de performance fasse l’objet d’une transaction ou d’une utilisation autonome, et sur le degré d’interdépendance entre les différentes obligations de performance.

Ainsi, dans le secteur télécom et média, la vente d’un appareil – terminal ou boîtier décodeur – subventionnée par un abonnement de communication ou d’accès  à un bouquet audiovisuel devra désormais être décomposée en 2 obligations distinctes, ce qui conduira à anticiper la reconnaissance du chiffre d’affaires sur la base du prix de marché de l’appareil pouvant être vendu séparément. De même dans le secteur des biens d’équipement ou des logiciels, les garanties souvent proposées conjointement – et parfois gratuitement –  à  la vente du bien devront être analysées pour déterminer s’il s’agit de garanties usuelles de conformité ou de services complémentaires – entretien, mise à jour, assistance technique – qui devront alors être comptabilisés séparément. A contrario, une vente de logiciel combinée  à un service  d’intégration à l’environnement informatique spécifique d’un client sera comptabilisée  comme une seule et même obligation de performance compte tenu de l’imbrication étroite entre les 2 prestations.

Étape 3 : Détermination du prix de la transaction

Le prix de la transaction devra tenir compte notamment des éléments suivants :

  • Les commissions non remboursables reçues du client à l’origine. Ces montants pouvaient jusqu’ici dans certains cas être reconnus immédiatement comme des revenus. Désormais, ils sont considérés comme des acomptes, devant être étalés sur la durée de la réalisation de la prestation. C’est le cas par exemple des droits d’entrée dans des clubs de loisirs,  ou de la refacturation par une banque à son client de frais de mise en place d’une opération ou de constitution d’un dossier.
  • Les composantes conditionnelles du chiffre d’affaires:  ce sont des composantes  indexées sur une variable et  générées  à une date future. Ces composantes variables peuvent être positives (bonus, prime de succès, droits non exercés par les clients) ou négatives (rabais, concession tarifaire, droit de retour). Elles sont désormais intégrées dès l’origine dans le prix et évaluées  soit à la « valeur attendue », par exemple dans le cas  d’un portefeuille de biens identiques et de faible valeur unitaire (ex : secteur des biens de consommation), soit à la valeur la plus probable lorsque l’échantillon est insuffisant ou les scénarios peu nombreux (ex : secteur pharmaceutique). Cette approche peut impliquer une reconnaissance anticipée de revenus lorsque la composante variable est positive : clause d’ajustement du prix de vente d’un commerce en fonction des ventes futures, prise en compte  anticipée dans les revenus des droits non exercés par les clients, tels que des tickets d’alimentation, des coupons de réduction  ou des miles aéronautiques. Cette anticipation du revenu est néanmoins conditionnée à l’existence d’une forte probabilité de survenance, fondée sur des données historiques fiables et récurrentes. Ainsi, un gestionnaire d’actifs, rémunéré pour partie à la performance qu’il génère, ne pourra reconnaître cette composante de rémunération qu’au dernier moment compte tenu de l’incertitude liée à la volatilité des paramètres de marché.  De plus, par exception à la règle générale, les redevances variables liées à la propriété intellectuelle, fondées sur l’utilisation ou les ventes aux tiers, ne pourront être reconnues en résultat qu’au fil de l’eau même si leur probabilité d’existence est élevée dès l’origine.

Étape 4 : affectation du prix de la transaction aux différentes obligations de performance

Cette étape n’existe que lorsque plusieurs obligations de performance distinctes ont été identifiées lors de l’étape 2. Lorsque chacune des obligations de performance est dotée d’un prix de vente observable, l’affectation se fait au prorata de ces prix observables ; par exemple pour distinguer le prix d’un terminal  de celui d’un abonnement, le prix d’un produit industriel de celui de son transport et de son assurance, ou encore le prix de chacune des composantes d’un « package » vendu par un tour-opérateur  telles que le transport, l’hébergement, ou la réservation d’un guide touristique.  Cette affectation sur la base des prix observables ne recoupe pas toujours la répartition réalisée dans le cadre de la facturation, ce qui peut impliquer une évolution par rapport à la pratique actuelle.

Cet exercice d’affectation est plus complexe lorsque certaines composantes, bien que distinctes,  n’ont pas de prix de vente observable. Il convient alors d’utiliser des techniques d’estimation, telle que le « cost plus » ou une méthode d’affectation résiduelle à partir du prix de transaction total, diminué de la somme des prix de vente observables. C’est par exemple le cas d’une vente de logiciel couplée à un service de mise à jour et d’assistance technique, alors qu’aujourd’hui, l’absence de prix de vente observable ou de facturation distincte pour chacune de ces composantes  implique le plus souvent une reconnaissance non différenciée de la prestation globale « bien + service ».

Étape 5 : Comptabilisation du chiffre d’affaires en résultat

La norme prévoit que le chiffre d’affaires peut être reconnu en résultat lors du transfert du contrôle du bien ou du service au client. En pratique, 2 situations sont possibles : soit le contrôle est transmis à une date précise, soit le contrôle est transmis en continu. Cette distinction ne recoupe qu’en partie l’ancienne distinction entre biens et services. Par ailleurs, le transfert du contrôle se substitue au transfert des risques et avantages économiques comme fait générateur de la reconnaissance du chiffre d’affaires. Les conséquences de ces évolutions  peuvent être notamment illustrées comme suit :

  • Les revenus des contrats à long terme, que l’on trouve fréquemment dans le secteur de la construction ou de l’ingénierie, sont aujourd’hui reconnus soit à l’avancement, soit à l’achèvement. Demain, le curseur entre ces 2 méthodes sera notamment conditionné par le critère de transfert du contrôle (par ex en cas de construction sur sol d’autrui), ou par l’existence d’un droit à paiement exécutoire auprès du client à hauteur des prestations déjà réalisées, même s’il n’y pas encore de facturation, si les jalons prédéfinis ne sont pas atteints, ou si le contrat peut être résilié avant son terme pour des raisons autres que la non-exécution de la prestation promise.
  • Dans l’industrie, les produits font souvent l’objet d’un transfert de propriété antérieur à la livraison, qui est l’échéance jusqu’à laquelle le vendeur reste exposé à certains risques tels qu’une défaillance du transporteur. Selon la norme, la reconnaissance du chiffre d’affaires pourra désormais être anticipée à la date du transfert de propriété, avec comme contrepartie l’obligation  d’affecter une partie du prix global aux prestations de transport et d’assurance dont la reconnaissance en revenus sera donc différée. Ce changement d’approche s’applique notamment aux revenus des transactions à l’export,  régies par les clauses dites « incoterms » telles que le « FOB » ou le « CIF » spécifiques au transport maritime
  • Le cas des licences de propriété intellectuelle

La comptabilisation des licences est l’un des points les plus novateurs de la norme et concerne notamment le domaine des  logiciels et technologies,  des œuvres cinématographiques, et musicales et autres créations pour les médias et le spectacle, des franchises , ainsi que des  brevets, marques de commerce et droits d’auteur. Les licences sont désormais réparties en 2 catégories : celles qui procurent un droit d’accès à la propriété intellectuelle et celles qui procurent un droit d’utilisation de celle-ci. Cette distinction est une traduction opérationnelle de la notion de transfert du contrôle. Ainsi, lorsque la licence est un « produit en développement », faisant l’objet d’une gestion dynamique par le vendeur dont le client bénéficie  en temps réel, le vendeur  octroie à son client un droit d’accès à la licence et comptabilise les revenus de celle-ci au fil de l’eau : lorsqu’il s’agit par exemple de développer la notoriété d’une marque, d’investir dans la recherche-développement pour un nouveau médicament,  d’améliorer la compétitivité d’une équipe sportive, ou d’ actualiser régulièrement les fonctionnalités d’une application informatique.  A contrario, lorsque le la licence est un « produit fini » géré de façon statique, par exemple un brevet d’un procédé arrivé à maturité, un logiciel fonctionnant  sans avoir besoin de mises à jour permanentes, ou une marque déjà installée sur le marché, le vendeur octroie à son client un droit d’utilisation de la licence et comptabilise le revenu à la date de transfert à son client. Ce deuxième cas risque néanmoins d’avoir une portée pratique réduite du fait de la contrainte de reconnaissance au fil de l’eau des redevances de propriété intellectuelle indexées sur l’utilisation ou les ventes à un tiers, qui sont une modalité courante de rémunération des licences.

Bien d’autres thématiques sont abordées par la norme, telles que la comptabilisation des modifications de contrats, celle des options pour acquérir des biens et services additionnels, ou encore les conditions d’activation des coûts d’obtention et d’exécution des contrats. L’une des préoccupations les plus souvent exprimées par les sociétés concerne l’augmentation significative des éléments à produire en annexe aux comptes, telles que la liste des obligations de performance subsistant à la clôture, ce qui pose à la fois des problèmes de confidentialité  – dévoilement d’informations sensibles relatifs aux carnets de commande – et d’adaptation des systèmes d’information.

 

Juste valeur, risque comptable et risque économique

(Article paru dans la revue PCM Le Pont )

Dans le contexte des faillites et scandales récents attribués à des insuffisances dans les règles comptables, la juste valeur apparaît aujourd’hui comme l’un des points de passage obligé pour restaurer la confiance dans les comptes des entreprises au travers d’une transparence accrue de ceux-ci. Mais ce souci de transparence, compréhensible lorsqu’il s’agit de définir de nouvelles règles de gouvernance, risque de faire perdre de vue le rôle principal de la comptabilité qui est de donner une image fidèle de la réalité économique de l’entreprise, réalité dont la complexité s’accommode mal avec la vision réductrice introduite par la juste valeur. Dès lors, on peut se demander si cette confusion des genres n’est pas de nature à  créer pour les différents utilisateurs des comptes de l’entreprise une opacité supplémentaire, qui, à rebours de l’objectif affiché, pourrait conduire à une perte de confiance dans la fiabilité de ceux-ci, et inciter les apporteurs de capitaux à exiger une prime de risque supplémentaire à l’origine d’un réel surcoût économique pour les entreprises qui pourrait même entraîner des faillites pour les plus fragiles d’entre elles.
La juste valeur est l’un des sujets qui a fait récemment couler le plus d’encre au sein de la communauté de ceux qui s’intéressent aux comptes d’une entreprise : analystes, investisseurs, directeurs financiers et comptables, commissaires aux comptes ou autorités prudentielles de certains secteurs réglementés comme la banque et l’assurance. En effet, l’avènement du nouveau référentiel comptable et financier des normes internationales (IAS/ IFRS) à partir du 1er janvier 2005 pour l’ensemble des sociétés cotées de l’Union Européenne repose très largement sur cette notion de juste valeur, notion à tel point nouvelle par rapport aux référentiels comptables actuellement en vigueur qu’elle a impliqué une modification des directives comptables européennes qui reposaient jusqu’ici exclusivement sur le principe du nominalisme monétaire, c’est à dire du coût historique.

Compatibilité de la juste valeur avec la mission première de la comptabilité

Dans ce contexte, la question centrale que pose la juste valeur est de savoir si son objectif principal, qui est d’obliger les entreprises à faire preuve d’une plus grande transparence dans les comptes qu’elles publient à destination des tiers, est compatible avec la mission première de la comptabilité qui est de fournir aux lecteurs des états financiers la meilleure image possible de la réalité économique de l’entreprise.

Partons d’abord de la définition de la juste valeur – ou « fair value », telle que donnée par le corps des normes internationales :  c’est « le montant auquel un bien peut être échangé entre 2 parties bien informées et consentantes, dans des conditions de marché normales (« arm’s length transaction »).

L’analyse des termes utilisés est utile pour faire ressortir le cadre conceptuel qui sous-tend cette définition

  • la référence à l’échange qui présuppose une intention de cession du bien par son détenteur;
  • la référence à un marché, qui présuppose une liquidité du bien, c’est à dire la possibilité de trouver facilement une contrepartie qui a un besoin symétrique sans que la valeur affichée juste avant la cession puisse être influencée de manière significative par un déséquilibre entre l’offre et la demande.

Une acception très étroite pour un champ d’application très large

Au sens des normes internationales, la « juste valeur » est donc définie dans une acception très étroite, synonyme de valeur de marché ou de valeur négociable. En revanche, son champ d’application est très large :  il couvre non seulement les  instruments financiers (dérivés, titres, prêts et créances, emprunts) mais aussi d’autres types de biens tels que les immeubles de placement, les actifs biologiques pour le secteur agricole ou encore les actifs incorporels tels que le goodwill[1].

Une absence de prise en compte de l’intention économique

Or la plupart des entreprises françaises ne pratiquent pas aujourd’hui la réévaluation de ce type d’actifs en valeur de marché, le plus souvent parce qu’elles n’ont pas la volonté de les céder dans un futur proche – soit qu’ils fassent partie intégrante de l’exploitation,  soit qu’ils participent des objectifs à long terme de l’entreprise- et qu’une réévaluation au marché, à supposer qu’elle soit fiable, ne traduirait donc pas correctement l’intention économique liée à la détention de cet actif.

Prenons le cas, à titre d’illustration,  de la détention de titres de participation non consolidés par une entreprise  dans le cadre d’un noyau dur d’actionnaires, tels que ceux constitués en France au moment des privatisations des années 80. L’intention de l’entreprise actionnaire correspond ici à une conservation durable conformément à son intérêt et à ses engagements vis à vis de l’émetteur ; la correcte traduction comptable de cette intention consiste donc à évaluer ces titres en tenant compte de l’horizon prévisible de détention, par exemple en les estimant à leur valeur d’utilité sur la base d’une approche multi-critères dont  la valeur de marché, c’est à dire la juste valeur au sens des normes internationales, n’est qu’un des nombreux paramètres, et non le paramètre exclusif qui laisserait croire aux tiers que l’entreprise a l’intention de céder cet actif dans le court terme. A contrario, lorsque la stratégie affichée de l’entreprise évolue, par exemple si elle affiche peu avant l’échéance du pacte son intention de céder les actions qu’elle détient sur le marché, il est logique que la valeur de marché –dans ce cas directement observable car s’appuyant sur un cours coté sur un marché réglementé– devienne le critère d’évaluation prédominant de ces actifs.

Une vision réductrice de la valeur globale de l’entreprise

Si l’utilisation de la juste valeur apparaît inadaptée lorsqu’il s’agit de refléter de la meilleure façon possible la valeur économique d’un seul actif ou d’un passif , fût-il financier, elle semble l’être plus encore lors qu’il s’agit de refléter la valeur économique de la totalité des actifs et passifs d’une entreprise.

En effet, cette valeur globale ne peut reposer uniquement sur une évaluation de l’entreprise dans une optique quasi-liquidative, comme si elle n’était qu’un support de placement collectif dans lequel auraient été logés des actifs et des passifs financiers qu’un investisseur aurait pu tout aussi bien détenir en direct. Même si, comme le normalisateur international, on considère que le point de vue de l’investisseur doit être prédominant par rapport à celui d’autres utilisateurs des états financiers de l’entreprise tels que les salariés, les banques ou les fournisseurs, on ne peut réduire ce point de vue à une vision de l’entreprise comme entité transparente dont la valeur globale est égale à la somme des valeurs  des actifs et passifs qui la composent, supposés immédiatement cessibles pour une valeur certaine sur un marché liquide. Car une entreprise est d’abord une organisation orientée vers la création de valeur, au travers d’objectifs à long terme, d’une stratégie et de moyens humains, matériels et financiers pour les atteindre et, d’une gestion des risques adéquate pour ne pas compromettre son potentiel de croissance et de développement ; c’est d’ailleurs ce potentiel de création de valeur à moyen et long terme que les modèles les plus couramment utilisés par les analystes et les investisseurs cherchent à appréhender, au travers par exemple de la prévision des flux de trésorerie futurs dégagés par l’entreprise, mais qui n’a pas beaucoup de points communs avec la somme des variations à court terme des valeurs « à la casse » estimées des actifs et passifs de l’entreprise.

De ce point de vue, la volatilité du bilan, des capitaux propres et du résultat d’une entreprise induite par une présentation de l’essentiel de son activité au travers de la variation de juste valeur de ses actifs et passifs nous paraît donner au lecteur des états financiers une information non pertinente,  susceptible de l’induire en erreur dans l’appréciation objective des résultats et de la situation financière de l’entreprise.

Une incitation à une moins bonne maîtrise du risque économique

Dans certains cas, le caractère non pertinent de cette approche peut même inciter une entreprise à modifier ses processus de gestion dans le sens d’une détérioration de la maîtrise globale de ses risques. C’est par exemple le cas de certaines banques françaises et européennes dans le domaine de la gestion actif /passif (ou « ALM[2] »). Ces banques ont en effet développé depuis de nombreuses années des modèles élaborés de maîtrise de leur risque de transformation, c’est à dire du déséquilibre structurel résultant de la conversion des ressources à court terme qu’elles collectent des particuliers ou qu’elles lèvent sur les marchés en des prêts à moyen et long terme destinés au financement de l’économie. Au niveau financier, ce risque de transformation se traduit notamment par une exposition liée à la variation des taux d’intérêt, couverte pour une large part dans le cadre de ces modèles par des instruments financiers à terme de taux d’intérêt (ou dérivés) tels que des swaps, des caps ou des floors , de manière à protéger et à figer dans le temps la marge d’intérêt résultant de ce processus de transformation.

Selon les règles actuellement en vigueur, ces dérivés ne sont pas comptabilisés en juste valeur car ils sont utilisés en couverture d’une position nette constituée par des actifs et des passifs qui eux-mêmes ne sont pas en juste valeur. Le problème vient du fait qu’en normes internationales, tous les dérivés sont obligatoirement en juste valeur et les solutions récemment proposées par le normalisateur pour réduire l’impact de cette contrainte sur la volatilité du résultat sont difficilement applicables pour les banques car très lourdes à mettre en œuvre opérationnellement. Dès lors, celles-ci pourraient être dissuadées, si elles veulent éviter de créer dans leurs comptes une volatilité indue liée à la réévaluation des dérivés en juste valeur , d’utiliser ces instruments qui sont pourtant parfaitement adaptés à leur objectif de maîtrise de leur risque économique et financier.

Une perte de comparabilité des comptes dans le temps et dans l’espace

Sur un plan plus macro-économique, l’un des objectifs de la juste valeur est de permettre pour les investisseurs une meilleure comparabilité entre les comptes des entreprises au travers d’une valorisation identique d’éléments de bilan identiques. Or seuls des instruments financiers négociables sur des marchés liquides tels que des actions cotées sur un marché réglementé, ou des instruments dérivés standards comme des swaps de taux d’intérêt ou de devises, peuvent être évalués sur la base d’une référence objective et indiscutable de marché et favoriser cette exigence de comparabilité, et encore seulement dans le cas où ils seraient détenus selon des intentions de gestion analogues. Malheureusement, la part de cette catégorie d’actifs est très restreinte dans la plupart  des bilans des entreprises et les expédients auxquels on doit recourir pour exprimer la juste valeur des éléments de bilan qui ne rentrent pas dans cette catégorie ne paraissent pas toujours plus pertinents pour le lecteur des états financiers que le coût historique combiné au principe de prudence dont la juste valeur est censée être le contre-modèle. Ainsi on utilisera comme approximation de la juste valeur au sein d’une banque des évaluations issues de modèles internes, qui certes ont fait l’objet de tests de validité souvent approfondis, mais qui n’en intègrent pas moins des hypothèses et des paramètres dont la spécificité est non seulement inévitable mais constitue aussi l’un des facteurs clés de différenciation concurrentielle dans ce secteur. De manière encore plus discutable, certains actifs corporels ou incorporels, tels le goodwill, devront désormais être comptabilisés et dépréciés sur la base d’une évaluation faite par l’entreprise elle-même des flux de trésorerie supposés être dégagés par ces actifs dans le futur. Dès lors, il paraît difficile de considérer que l’introduction dans les comptes de la juste valeur permettra à un investisseur de mieux mettre en regard les performances d’entreprises comparables, tant la marge d’appréciation reste importante d’une entreprise à une autre sur ses modalités d’application concrètes.

Un risque comptable qui génère un risque économique

Tous ces facteurs nous conduisent à penser que l’utilisation de la juste valeur comme base d’évaluation prédominante des actifs et des passifs d’une entreprise, telle que prévue par les normes internationales applicables à partir de 2005, est plus susceptible de créer de l’opacité sur la valeur et sur les perspectives réelles de l’entreprise que de constituer un outil efficace d’aide à la décision pour un investisseur à la recherche d’informations fiables, pertinentes et comparables dans le temps et dans l’espace. En outre, face à la perte de visibilité et de repères induite par ce changement radical et insuffisamment maîtrisé des règles du jeu comptable,

les apporteurs de capitaux de l’entreprise – prêteurs et actionnaires -, pourraient bien exiger une prime de risque supplémentaire à l’origine d’un surcoût économique pour les entreprises, susceptible pour les plus fragiles d’entre elles de mettre en cause leur existence même,  à partir du moment où elles ne pourraient plus faire appel à des capitaux externes dans des conditions compatibles avec leur survie économique.

La comptabilité n’est ni une science exacte, ni un outil de gouvernance

Dans ce contexte, on peut légitimement se demander si la juste valeur , qui semble poser comme on vient de le voir au moins autant de problèmes qu’elle n’en résout, n’est pas en réalité le symptôme d’un mal qui touche plus profondément et plus généralement la comptabilité aujourd’hui, à savoir le mythe d’une « vérité des comptes » que l’on atteindrait au travers d’une transparence accrue de ceux-ci.

A notre avis, cette conception résulte d’un malentendu fondamental sur le rôle et l’objectif de la comptabilité. Tout d’abord, la comptabilité n’est pas une science exacte et n’a pas la prétention d’atteindre à une vérité objective, mathématique des comptes qui ne serait compatible ni avec la complexité du processus de « transformation » de la réalité économique en une  image comptable, ni avec la part de jugement donc d’appréciation subjective –qu’elle comporte, à l’œuvre par exemple lorsqu’il s’agit d’estimer le risque de perte sur une créance dont la recouvrabilité est compromise.

Ensuite, la comptabilité ne peut prétendre constituer l’outil privilégié d’aide à la décision de l’investisseur puisqu’elle est avant tout une image du passé (les résultats ) et du présent (la situation financière) alors que l’investisseur se projette vers l’avenir ; de ce point de vue, l’obligation introduite par la juste valeur dans de nombreux cas de fonder exclusivement la valeur d’un actif ou d’un passif sur l’estimation (en valeur actualisée) des flux de trésorerie futurs qui s’y attachent nous paraît critiquable.

Enfin et surtout, il nous semble que la comptabilité est utilisée de plus en plus souvent, alors que ce n’est pas son rôle, comme un outil au service d’un objectif d’amélioration de la gouvernance dans l’entreprise, au travers de règles comptables censées prévenir toute forme d’abus, de fraude ou de dérives de la part de dirigeants mal intentionnés ou trop peu soucieux de l’intérêt des actionnaires.

Une bonne illustration de cette confusion des genres est le cas des stock-options attribuées aux salariés, qui selon les normes internationales doivent être évaluées en juste valeur et comptabilisées par l’entreprise comme une charge de personnel avec comme contrepartie une augmentation des capitaux propres. Or, si ce traitement est absurde sur le plan économique et comptable car une charge signifie une diminution de la richesse de l’entreprise et donc de ses capitaux propres,  le véritable objectif du normalisateur est en réalité de dissuader l’entreprise de poursuivre une pratique considérée comme contraire aux intérêts des actionnaires de l’entreprise en la sanctionnant au travers d’une règle qui la conduit à amputer son résultat d’une charge qui n’en est pas une.

Le risque d’une perte de confiance généralisée dans les comptes

Or il nous semble que l’amélioration de la gouvernance de l’entreprise ne doit pas à tout prix passer par la modification des règles comptables. De ce point de vue, l’explication des faillites tant récentes (Enron,) que plus anciennes (BCCI) par des règles  comptables insuffisamment transparentes et contraignantes, telle que la non-valorisation des dérivés en juste valeur,  ne résiste pas à une analyse approfondie qui montre que ce sont d’abord et avant tout des défaillances dans les processus de décision et de contrôle interne de l’entreprise qui sont en cause. C’est pourquoi il nous semble qu’une réflexion centrée sur l’amélioration de gouvernance, telle que celle initiée aux Etats –Unis avec la loi Sarbanes-Oxley ou en France avec les rapports « Viénot » et « Bouton », est beaucoup plus appropriée pour réduire les dérives mise en lumières par ces événements qu’un durcissement des règles comptables, et qu’a contrario le normalisateur comptable ne doit pas assigner à la comptabilité des missions qui la dépassent et qui risquent d’avoir l’effet inverse de celui recherché, à savoir une perte de confiance généralisée dans des comptes qui ne seraient plus ni compréhensibles, ni fiables, ni conformes à la réalité économique de l’entreprise (cf. le schéma de synthèse ci-contre : « le cercle vicieux d’un durcissement des règles comptables »).

Une solution de compromis : la juste valeur en annexe

A défaut d’un consensus sur une définition  claire des rôles de chacun, une solution de compromis serait au moins de ne pas faire supporter l’exigence de transparence accrue des comptes aux états  financiers dits « primaires », à savoir le résultat, les capitaux propres et le bilan de l’entreprise. On pourrait ainsi concevoir que la juste valeur ne soit pas directement utilisée dans la valorisation des actifs et des passifs  de l’entreprise et donc dans la détermination de son résultat, mais soit divulguée dans l’annexe aux états financiers tout en respectant les limites posées par le principe de bonne information, c’est à dire seulement lorsque celle-ci est disponible, fiable et pertinente pour le lecteur des états financiers. Cette solution aurait le mérite de ne pas compromettre le degré de fiabilité d’une information qui fait partie, au même titre que les états financiers primaires, du périmètre de certification des commissaires aux comptes. Elle permettrait surtout de ne pas déstabiliser la communauté des utilisateurs des états financiers qui a besoin de pouvoir se fier immédiatement aux chiffres qu’on lui soumet à intervalles de plus en plus rapprochés sans forcément être obligée de rentrer dans le détail des principes, méthodes et hypothèses qui sous-tendent leur élaboration, tout en fournissant  aux experts -agences de notation, analystes financiers, investisseurs institutionnels…-, la « matière première » indispensable pour effectuer ultérieurement les simulations et retraitements qu’ils estiment nécessaires pour alimenter leurs modèles de prévision et d’analyse.

Le cercle vicieux du durcissement des règles comptables