Distinction dette/capitaux propres en IFRS : une approche renouvelée

Le normalisateur IASB a publié en juin 2018 un papier de discussion (DP) qui renouvelle l’approche actuelle relative à la distinction dette / capitaux propres selon les normes IFRS, considérée du point de vue de l’émetteur.

Ce document, intitulé « FICE » (Financial Instruments with Characteristics of Equity), et ouvert à commentaires jusqu’en janvier 2019, a vocation à :

  • proposer un nouveau cadre d’analyse relatif aux instruments hybrides dettes/capitaux propres et décliner ce cadre aux instruments dérivés sur actions propres ;
  • conduire à une révision de la norme IAS 32, qui traite actuellement de ces aspects ;
  • compléter le nouveau cadre conceptuel de l’IASB (« Framework ») publié en 2018, qui a volontairement laissé de côté ce sujet.

Le choix du classement des instruments hybrides en dette ou en capitaux propres est fondamental à plusieurs égards :

  • il conditionne l’analyse de la solvabilité et de rentabilité financière des entreprises concernées, telle que pratiquée notamment par les analystes financiers et les agences de notation ;
  • il détermine la physionomie du compte de résultat, qui enregistre la variation des instruments de dette mais pas celle des instruments de capitaux propres, dont la valeur est figée à l’origine ;
  • il influence certains ratios de solvabilité réglementaires, tels que les ratios prudentiels bancaires, qui s’appuient sur le classement comptable de ces instruments en IFRS.

Cet article présente les grands principes de la nouvelle approche de distinction dette/ capitaux propres proposée par l’IASB, ainsi que son application :

en soulignant les points de divergence et de continuité avec la norme actuelle IAS 32. Le texte original du DP ainsi qu’une synthèse élaborée par le normalisateur IASB sont référencés en Annexe.

Ce projet apparaît comme la seconde phase d’un chantier global de refonte de la comptabilisation des instruments financiers, dont l’entrée en vigueur d’IFRS 9 en 2018 constitue la première phase.  (Cf. article « IFRS 9 une pratique à construire » http://accounting-partner.fr/ifrs-9-une-pratique-a-construire)

 

I – La nouvelle approche proposée par l’IASB

L’approche de l’IASB concerne tous les instruments financiers « own equity », i.e. sur actions propres, à savoir ceux :

  • dont la valeur dépend d’un instrument de capitaux propres, qu’ils soient non dérivés (ex : action ordinaire), dérivés (ex : warrant), ou composés (ex : obligation convertible en actions/ OCA)
  • dont la valeur dépend d’une autre variable financière (ex  : taux, change, crédit ou commodity), mais qui sont dénoués par réception ou émission d’instruments de capitaux propres de l’entité.

Selon le DP, la qualification en capitaux propres d’un instrument sur actions propres est liée au respect conjoint des deux critères suivants :

  • le timing : il n’existe aucune obligation de transférer de la trésorerie (ou un autre actif financier) à une date antérieure à la liquidation, et
  • le montant: il n’existe aucune obligation de transférer un montant indépendant des ressources économiques de l’entité.

A défaut, si l’un de ces 2 critères n’est pas respecté, l’instrument est qualifié de dette financière.

Le tableau ci-dessous synthétise cette approche.

L’approche du DP fonde ces 2 critères sur la nécessité de répondre aux objectifs des utilisateurs de l’information financière :

  • le critère de montant doit leur permettre d’évaluer la solvabilité de l’entreprise et l’adéquation du rendement de ses actifs au coût de ses obligations. Ainsi, un instrument comportant une obligation de paiement pour un montant fixe indépendant des ressources économiques de l’entité est qualifié en dette financière :
    • même s’il est dénoué en actions de l’entité – dont le nombre à émettre varie en proportion inverse de sa valeur.
    • même s’il n’est dénoué qu’au moment de la liquidation de l’entreprise
  • le critère de timing doit leur permettre d’évaluer la liquidité de l’entreprise, i.e. sa capacité à faire face à des échéances de trésorerie au moment requis. Ainsi, un instrument comportant une obligation de paiement assortie d’une échéance, ou dont le dénouement est en dehors du contrôle de l’émetteur, par exemple parce qu’il dépend d’un évènement extérieur ou de l’exercice d’une option par la contrepartie, est qualifié en dette financière, même si le montant dépend des ressources économiques de l’entité.

Néanmoins, pour les instruments classés en dette financière au regard du seul critère de timing, mais dont l’obligation porte sur un montant exclusivement dépendant des ressources économiques de l’entité, la dette est réévaluée directement en Other Comprehensive Income (OCI), c’est-à-dire en capitaux propres, sans recyclage ultérieur en compte de résultat. C’est le cas par exemple d’une action remboursable à sa juste valeur, à une échéance certaine ou déclenchée par l’exercice d’une option par la contrepartie.

Cette réévaluation de la dette en OCI a pour objectif de ne pas « polluer » le résultat avec des impacts contre-intuitifs, qui conduiraient à constater en résultat une charge alors que la situation de l’entreprise s’améliore, ou un produit alors que celle-ci se détériore. Le DP conserve néanmoins la dérogation prévue par la norme IAS 32, permettant de classer en capitaux propres les instruments « puttables » ou remboursables à une date prédéfinie, lorsque ceux-ci remplissent une fonction similaire à des actions pour l’émetteur, notamment parce qu’ils ont le rang le plus subordonné parmi les instruments de financement de son activité.

 

II – Application aux instruments non dérivés

Un instrument non dérivé sur actions propres correspond par exemple :

  • à une action ordinaire ;
  • à une obligation remboursable pour un montant fixe en EUR par livraison d’un nombre variable d’actions ;
  • à une obligation remboursable en trésorerie à sa maturité, pour un montant égal à la juste valeur de l’action.

Si l’on reprend ces 3 cas simples :

  • une action ordinaire émise respecte les 2 critères du timing et du montant et répond donc à la définition d’instrument de capitaux propres ;
  • une obligation remboursable pour un montant fixe en EUR par livraison d’un nombre variable d’actions ne respecte pas le critère du montant, et doit donc être qualifiée d’instrument de dette ;
  • une obligation remboursable à la juste valeur de l’action à maturité ne respecte pas le critère du timing et doit être qualifiée d’instrument de dette ; cette dette est réévaluée en OCI non recyclable car le critère du montant est satisfait.

Le point commun de ces instruments est que leur qualification selon le DP est identique à celle applicable selon IAS 32, qui qualifie un instrument en dette lorsque :

  • il comporte une obligation de sortie de trésorerie antérieure à la liquidation, ce qui rejoint le critère du timing préconisé par le DP ; néanmoins, selon IAS 32, la variation de valeur de la dette est enregistrée en résultat, alors que l’approche du DP conduit à une réévaluation par OCI lorsque le critère du montant est satisfait.
  • il comporte une obligation dénouée par un nombre variable des actions de l’entité, celle-ci utilisant ses propres actions comme monnaie de règlement :  ce critère IAS 32 est d’application plus restrictive que le critère de montant indépendant des ressources de l’entité préconisé par le DP.

A contrario, l’application de la nouvelle approche à des instruments moins standards aboutirait à une qualification différente de celle d’IAS 32. Ainsi :

  • Pour une action de préférence à dividendes fixes cumulatifs, le paiement des dividendes peut être reporté jusqu’à la liquidation, mais le montant différé porte intérêt et le montant final est indépendant des ressources de l’entité. Selon l’approche du DP, cet instrument serait donc qualifié de dette, alors que l’absence d’obligation de paiement avant la date de liquidation conduirait à une qualification en capitaux propres selon IAS 32. Ce changement de qualification pourrait notamment avoir un impact sur les ratios prudentiels des banques, qui ne pourraient plus intégrer ces instruments dans leurs fonds propres réglementaires de base (« Core Equity Tier 1 »), dont la définition présuppose notamment la qualification comme capitaux propres en IFRS. En revanche, lorsque les dividendes ne sont pas cumulatifs, l’obligation de paiement disparaît également en date de liquidation et l’instrument peut être qualifié de capitaux propres selon le DP comme en IAS 32.
  • Pour une action de préférence à dividende fixe croissant (« step-up »), le non-versement d’un dividende n’entraîne pas de report cumulatif, mais une augmentation du dividende suivant, de façon itérative si nécessaire jusqu’en date de liquidation, à laquelle est finalement payé le dividende majoré. Selon l’approche du DP, cet instrument serait qualifié de dette compte tenu du mode de calcul du dividende, indépendant des ressources économiques de l’entité, alors qu’il serait classé en capitaux propres selon IAS 32 car le dividende est discrétionnaire et aucun paiement n’est dû avant la liquidation. Cette qualification comme dette selon le DP permet en outre de tenir compte, dans ce cas particulier, de l’incitation économique au paiement anticipé du dividende (« economic compulsion »), alors que celle-ci n’est pas prise en considération par le DP dans d’autres situations pour qualifier un instrument de dette (Cf. §V ci-après).

L’arbre de décision suivant synthétise l’application de cette nouvelle approche aux instruments non dérivés.

III – Application aux dérivés sur actions propres

Un instrument dérivé sur actions propres est un contrat dont l’un des sous-jacents est un instrument de capitaux propres de l’entité ou dont le règlement s’effectue en instruments de capitaux propres de l’entité. Ce contrat peut être ferme ou optionnel, autonome ou incorporé dans un support de financement comme dans le cas d’une obligation convertible en actions (OCA). Il peut être dénoué en brut par livraison du sous-jacent action contre cash, ou en net par paiement de la valeur du dérivé à échéance (valeur intrinsèque). Cette valeur nette peut être en versée en trésorerie (« net cash ») ou par émission d’un nombre variable d’actions inversement proportionnel à leur valeur (« net share »).

Le respect conjoint des 2 critères du timing et du montant, nécessaire à la qualification comme instrument de capitaux propres selon le DP, se décline comme suit pour les dérivés sur actions propres:

  • le critère du montant s’applique sur la valeur intrinsèque du dérivé, telle qu’elle résulte de son « pay-off » – c’est-à-dire de la formule permettant de déterminer la valeur nette des jambes payeuse et receveuse de l’instrument ; pour une qualification en capitaux propres, cette valeur doit dépendre exclusivement de la variation des ressources économiques de l’entité, telles que sa propre action ou son résultat net, et non d’une variable exogène, telle que taux de change ou prix de commodity.
  • le critère du timing est mis en œuvre au travers les modalités de dénouement du dérivé à une échéance qui est toujours antérieure à la liquidation : dès lors, le dénouement doit s’effectuer par réception ou émission d’actions propres (en brut ou en « net share »), car dans le cas contraire, un dénouement en « net cash » implique, dans le cas où la valeur du dérivé est négative à l’échéance, une sortie de trésorerie avant la liquidation.

Si l’un de ces 2 critères n’est pas respecté, le dérivé sur actions propres est assimilé à un dérivé IFRS 9 et réévalué en Mark-to-Market (MtoM), donc comptabilisé comme actif ou comme dette selon que sa valeur est positive ou négative. Néanmoins, comme pour les instruments non dérivés, si le montant net du dérivé dépend exclusivement des ressources économiques de l’entité, la variation de valeur du dérivé est comptabilisée en OCI non recyclables : c’est le cas par exemple d’un call vendu sur actions propres dénoué en trésorerie sur base nette.

La déclinaison de l’approche générale du DP au cas des dérivés sur actions propres comporte par ailleurs les spécificités suivantes :

  • une catégorie intermédiaire de dérivés « partiellement indépendants » des ressources économiques de l’entité est créée : cette catégorie cible les dérivés dont le seul paramètre indépendant est une devise étrangère, utilisée par l’émetteur pour des motifs contraints tels que l’accessibilité à un marché plus liquide ou à une base d’investisseurs supplémentaire. Ces dérivés restent qualifiés d’instruments de dette, mais sont réévalués par OCI non recyclables, à l’instar des dérivés exclusivement dépendant des ressources économiques mais dénoués en « net cash ». Cette nouvelle présentation vise en réalité à atténuer l’impact du changement de qualification des warrants émis en devises, qui font aujourd’hui l’objet d’une qualification dérogatoire en capitaux propres selon IAS 32.
  • lorsque le dérivé peut être dénoué, en dehors du contrôle de l’émetteur, par achat d’actions propres, une dette financière est comptabilisée dès l’origine pour sa valeur actuelle par contrepartie d’une diminution des capitaux propres, : c’est le cas par exemple d’un put vendu sur actions propres, ou d’un contrat d’achat à terme d’actions propres. L’approche applicable devient alors celle relative aux instruments composés, développée au point IV ci-après.

L’approche sur les dérivés peut être synthétisée par l’arbre de décision suivant :

La nouvelle approche ne modifie pas le classement de la majorité des dérivés sur actions propres par rapport à la norme actuelle IAS 32. Selon celle-ci, un dérivé ne peut être qualifié d’instrument de capitaux propres que s’il se dénoue par l’échange d’un montant fixe de trésorerie contre un montant fixe d’actions propres (principe du « fixe contre fixe »). C’est par exemple le cas d’un call vendu sur actions propres dénoué en brut, tel que celui incorporé dans une OCA, qui sera également qualifié d’instrument de capitaux propres selon la nouvelle approche du DP, car il respecte les 2 critères du timing et du montant.

Néanmoins, l’approche proposée par le DP entraîne une qualification différente par rapport à la norme IAS 32 dans les cas suivants :

  • un dérivé exclusivement dépendant des ressources économiques de l’entité et dénoué en « net share » est qualifié d’instrument de capitaux propres, alors qu’il est assimilé à un dérivé IFRS 9 aujourd’hui, et réévalué en MtoM par résultat. C’est le cas par exemple d’un contrat de vente à terme d’actions propres ou d’un call vendu sur actions propres, dénoué en « net share ».
  • un warrant émis en devise, aussi appelé « foreign currency right », est qualifié de dérivé « partiellement indépendant », donc assimilé à un dérivé IFRS 9, comptabilisé initialement en dette et réévalué ultérieurement par OCI, alors qu’il est qualifié en IAS 32 d’instrument de capitaux propres et non réévalué, par dérogation au principe du « fixe contre fixe ».

Par ailleurs, le DP précise la façon dont le critère de montant exclusivement dépendant des ressources économiques de l’entité s’applique dans un certain nombre de situations :

  • L’existence de clauses compensatrices de dilution  ou de dividendes : celles-ci ont pour objectif d’ajuster à la hausse le nombre d’actions échangées à échéance pour compenser l’augmentation du nombre d’actions émises ou la distribution de dividendes dont ne bénéficient pas les détenteurs de dérivés qui ne sont pas encore actionnaires ;  une telle clause prévoit par exemple la livraison contre cash d’une proportion fixe -par ex 1% – du nombre d’actions en circulation à la date d’exercice du dérivé, auquel cas le caractère exclusivement dépendant du montant des ressources économiques de l’entité n’est pas remis en question.  A contrario, une clause qui prévoirait un ajustement à la hausse du nombre d’actions à livrer en cas de dilution telle que leur valeur globale soit au moins égale à 100 EUR, introduirait dans le pay-off du dérivé un paramètre indépendant des ressources économiques de l’entité.
  • L’existence de clauses tenant compte de l’effet du passage du temps, : par exemple l’augmentation du prix d’exercice d’une option en fonction de son échéance, au travers d’une indexation sur un taux d’intérêt. Ce type de clause ne remet pas non plus en cause le caractère exclusivement dépendant du montant de ressources économiques de l’entité, à condition que le taux d’intérêt soit en rapport avec l’environnement économique de l’entité et qu’il n’intègre pas d’effet de levier.
  • La définition du pay-off du dérivé par rapport à certains indicateurs de mesure de performance de l’entité, comme l’EBIT : dans ce cas, le caractère exclusivement dépendant des ressources de l’entité serait remis en cause, car l’indicateur ne porte pas sur le rendement produit par les ressources nettes de l’entité, mais par ses ressources brutes avant prise en compte de sa dette. A contrario, si le pay-off était défini par rapport au résultat net ou au résultat avant impôts, le caractère exclusivement dépendant serait acquis car ces indicateurs mesurent bien le rendement sur les ressources économiques nettes de l’entité.
  • Le conditionnement de l’exercice du dérivé à la survenance d’un événement en dehors du contrôle de l’émetteur. Dans ce cas, si l’événement a pour seule conséquence l’exercice ou non du dérivé, il ne remet pas en cause le caractère exclusivement dépendant de son pay-off. Ainsi, un call vendu prévoyant l’émission d’actions propres contre cash en cas de réussite à un appel d’offres, ou d’introduction en bourse de l’émetteur, serait qualifié d’instrument de capitaux propres.

Le traitement de certaines de ces situations par le DP permet en outre de préciser la jurisprudence d’application actuelle d’IAS 32. Ainsi en est-il des clauses compensatrices de dilution, de dividendes, ou d’effet lié au passage du temps, qui clarifient par la même occasion la mise en œuvre du principe de « fixe contre fixe » actuellement requis pour une qualification du dérivé en instrument de capitaux propres au regard de la norme IAS 32.

 

IV – Application aux instruments composés (« compound instrument »)

Selon le DP, un instrument composé est un instrument non dérivé, qui comporte une composante de dette et une composante de capitaux propres, ou qui incorpore un choix entre un dénouement en trésorerie, et un dénouement en actions propres. Ce choix de dénouement peut être à la main de l’émetteur, à la main du porteur, ou dépendre de la survenance d’un événement en dehors du contrôle de l’une des parties au contrat.

L’analyse d’un instrument composé comprend ainsi les étapes suivantes :

  1. l’identification d’une éventuelle composante de dette pour sa valeur actuelle, selon l’approche du DP articulée sur les 2 critères du timing et du montant: cette composante existe lorsqu’il existe une obligation de sortie de trésorerie, certaine ou en dehors du contrôle de l’émetteur, i.e. à la main du porteur (par ex l’option de conversion incorporée dans une OCA), ou soumise à une contingence externe. A contrario, lorsque le mode de dénouement de toutes les composantes de l’obligation est sous le contrôle de l’émetteur, l’instrument est qualifié en totalité de capitaux propres : c’est le cas d’une obligation « reverse convertible » sans flux d’intérêts périodiques, qui permet à l’émetteur d’arbitrer entre remboursement de l’obligation en actions propres ou en trésorerie en fonction du cours de l’action à échéance, ou encore d’une action « callable », qui donne à l’émetteur la faculté mais pas l’obligation de racheter l’action en trésorerie à échéance du call.
  2. l’identification et la qualification comptable de la composante résiduelle, déterminée par différence entre la valeur totale de l’instrument et la valeur de la composante de dette, à condition que celle-ci ne soit pas égale à la valeur totale de l’instrument, comme pour une action émise remboursable au gré du porteur à sa juste valeur, auquel cas la composante résiduelle (put vendu exerçable à la juste valeur) a une valeur nulle.

La composante résiduelle peut correspondre :

  • soit à un non dérivé : ainsi, les flux de dividendes discrétionnaires incorporés dans une action de préférence remboursable en trésorerie à maturité, constituent une composante de capitaux propres, en complément de la composante de dette liée au principal. De même, le flux de remboursement final en actions d’une Obligation Remboursable en Actions (ORA) est une composante de capitaux propres, en complément de la composante de dette représentée par les flux d’intérêts périodiques.
  • soit à un dérivé, qui sera qualifié comme instrument de capitaux propres, ou comme dérivé IFRS 9 réévalué en MtoM au terme de l’analyse applicable aux dérivés sur actions propres. Ainsi :
    • la composante résiduelle d’une OCA donnant lieu à une émission d’actions propres au gré du porteur correspond à un call vendu sur actions propres, qualifié d’instrument de capitaux propres, car il est dénoué en brut et dépend exclusivement de la valeur de l’action. En revanche, si l’OCA ne peut être dénouée qu'en trésorerie, par remboursement d’un montant fixe ou, au gré du porteur, d’un montant indexé sur la valeur de l’action (« equity kicker »), le call vendu sur actions propres est qualifié de dérivé IFRS 9 et comptabilisé en dette, car il est dénoué en « net cash ». Par ailleurs, dans la mesure où ce call est exclusivement dépendant de la valeur de l’action, sa variation de valeur MtoM est comptabilisée en OCI. De même, dans le cas d’une OCA en devises dénouée par émission d’actions propres contre de la trésorerie en devises, le dérivé résiduel correspond à un call vendu partiellement indépendant, qualifié de dérivé IFRS 9, comptabilisé en dette et réévalué par OCI.
    • dans le cas d’une dette remboursable en un nombre variable d’actions propres plafonné à un seuil, l’émetteur bénéficie d’une option achetée (put) lui permettant de limiter le nombre d’actions émises si le cours de l’action descend en dessous de ce seuil. Ce put répond à la définition d’un instrument de capitaux propres car il dépend exclusivement de la valeur de l’action et est dénoué en « net share ». Il est donc comptabilisé ici comme un « contra-equity, », i.e. en moins des capitaux propres, en contrepartie d’une augmentation de la dette reflétant l’obligation de paiement en un nombre variable d’actions tant que la limite n’est pas franchie. Ce traitement représente une évolution par rapport à IAS 32, qui traite ce type d’instrument en totalité comme une dette, dans la mesure où le nombre d’actions à émettre est considéré comme globalement variable, même s’il peut devenir fixe en dessous du seuil d’activation de l’option.

En pratique, le dérivé résiduel sera toujours exclusivement dépendant de la valeur de l’action, donc des ressources économiques de l’entité, dans la mesure où il matérialise l’alternative entre un dénouement en trésorerie et un dénouement en actions propres. Dès lors, conformément à l’approche applicable aux dérivés, il sera soit qualifié d’instrument de capitaux propres, soit réévalué en MtoM par OCI.

Par ailleurs, lorsqu’un dérivé se dénoue, en dehors du contrôle de l’émetteur, par un achat d’actions propres, le DP présuppose que cet achat est un rachat d’actions préalablement émises, et qu’il implique donc une annulation de ces actions :  par ex. pour un put vendu sur actions propres, ou pour un contrat d’achat à terme d’actions propres.  La comptabilisation est alors la suivante :

  • une dette est enregistrée pour la valeur actuelle du prix de rachat des actions propres à terminaison, par la contrepartie d’une diminution des capitaux propres. Cette approche de décompensation (« gross-up ») des 2 jambes du dérivé s’applique :
    • non seulement lorsque le rachat est effectué en trésorerie, comme c’est le cas selon IAS 32 ;
    • mais aussi, lorsque le rachat d’actions s’effectue en « net share », i.e. par livraison d’un nombre variable d’actions égal à un montant prédéterminé, contre réception d’un nombre fixe d’actions, car la jambe payeuse répond à la définition d’une dette selon la nouvelle approche. Cette approche est contraire à IAS 32, qui qualifie ce type d’instrument comme un dérivé IFRS 9 réévalué en MtoM par résultat sur base nette.
  •  une composante résiduelle est enregistrée, en complément de la dette, selon l’approche définie pour les instruments composés, avec la particularité suivante : lorsqu’une prime est perçue par l’émetteur sur un dérivé optionnel de type put vendu, le DP préconise une correction du montant de la prime réelle par imputation sur les capitaux propres, pour s’ajuster sur la valeur théorique d’un call incorporé dans une OCA. En effet, selon le DP, il existe pour l’acheteur de l’option un choix identique dans les 2 situations, conduisant soit à émettre des actions (en cas d’exercice du call de l’OCA ou de non exercice du put de revente des actions à l’émetteur),soit à sortir de la trésorerie (en cas de non exercice du call ou d’exercice du put). Ce traitement s’écarte de celui appliqué actuellement en IAS 32, qui enregistre le put vendu à sa valeur réelle, égale au montant de la prime effectivement perçue à l’origine.

Sur ce dernier point, l’approche du DP paraît  discutable, car elle revient à comptabiliser une option hypothétique (call) distincte de l’option réelle contractée (put), et dont les valeurs respectives sont d’autant plus différentes que chacune des options s’éloigne de la « monnaie », c’est à dire que l’écart entre leur prix d’exercice et la valeur du sous-jacent action est important.

L’approche sur les instruments composés peut être synthétisée par l’arbre de décision suivant :

Cette approche s’applique également aux puts/ NCI, c’est-à-dire aux promesses de rachat par la maison mère (puts) des actions de filiales détenues par les actionnaires minoritaires (Non Controlling Interests / NCI), dans la mesure où les NCI répondent à la qualification de instruments de capitaux propres du groupe consolidé au regard de la norme IFRS 10.  2 cas de figure peuvent se présenter :

  • lorsque le prix d’exercice du put est fixe, une dette est comptabilisée pour sa valeur actuelle, ainsi qu’un dérivé résiduel correspondant au call hypothétique déterminé selon les modalités détaillées ci-dessus, et qualifié d’instrument de capitaux propres.
  • lorsque le prix d’exercice du put est égal à la juste valeur de l’action, la valeur du put est nulle à tout moment et la valeur de la dette associée est égale à celle de l’action. Par ailleurs, dans la mesure où cette valeur est exclusivement dépendante du prix de l’action, sa réévaluation est enregistrée en OCI non recyclables, ce qui permet d’atténuer le caractère contre-intuitif de la réévaluation par résultat de ces instruments selon IAS 32. La nécessité de définir un traitement acceptable pour les puts/ NCI remboursables à la juste valeur est d’ailleurs la principale motivation à l’origine de la création d’une nouvelle catégorie de dette réévaluée en OCI non recyclables lorsque sa valeur dépend exclusivement des ressources économiques de l’entité. L’extension de la catégorie OCI apparaît, dans ce cas particulier, relever des « circonstances exceptionnelles » prévues par le Framework adopté en 2018, qui justifient la réévaluation d’un actif ou d’un passif en OCI lorsque la pertinence du compte de résultat s’en trouve améliorée.

 

V –Autres thèmes couverts par le DP

En complément de la nouvelle approche relative aux instruments hybrides et aux dérivés sur actions propres, le DP propose de définir des règles d’affectation de la performance globale – enregistrée en résultat et en OCI – aux différentes composantes des capitaux propres autres que les actions ordinaires. Ces composantes correspondent par exemple à des warrants émis ou à des actions de préférences qualifiées d’instruments de capitaux propres, mais détenus par des investisseurs autres que les actionnaires ordinaires. S’agissant en particulier des dérivés qualifiés d’instruments de capitaux propres, le DP propose plusieurs méthodes d’affectation de la performance globale dont le point commun est de rendre nécessaire une réévaluation de ces dérivés à leur juste valeur au sein des capitaux propres, alors ceux-ci sont enregistrés aujourd’hui à leur valeur d’origine et ne sont pas réévalués. Cette approche est complétée par des exigences d’information en annexe sur le caractère dilutif des instruments dérivés sur actions propres, qui viennent s’ajouter à celles déjà requises par la norme IAS 33 – résultat par action.

Par ailleurs, le DP réaffirme que seules les clauses contractuelles d’un instrument hybride sont pertinentes pour définir sa qualification, comme aujourd’hui en IAS 32 :

  • le DP confirme l’absence de prise en compte de l’incitation économique (« economic compulsion ») dans la qualification de l’instrument : ainsi, une obligation « reverse convertible », dont l’exercice de l’option de remboursement en trésorerie par l’émetteur serait très en dedans de la monnaie au regard du cours élevé de sa propre action, resterait qualifiée de capitaux propres, malgré le caractère peu probable d’un dénouement par émission d’actions propres.   Cette approche est cohérente avec IAS 32, qui ne tient pas compte de la pratique passée ou de l’intention dans la qualification des contrats, mais elle apparaît en décalage avec le nouveau cadre conceptuel adopté en 2018, qui postule qu’une dette est caractérisée si les conséquences économiques d’un choix alternatif au remboursement en trésorerie sont trop pénalisantes pour que l’entité puisse y recourir en pratique.
  • le DP confirme l’absence de prise en compte des contraintes légales ou règlementaires pour qualifier un contrat : ainsi, une obligation légale de racheter les intérêts minoritaires en cas d’offre publique d’achat (Mandatory Tender Offer/ MTO), ne peut être comptabilisée, alors qu’elle est économiquement analogue à une obligation contractuelle de rachat d’intérêts minoritaires devant être qualifiée de dette. De même, une clause de conversion en actions activée en cas de dégradation des ratios de solvabilité d’une banque, applicable réglementairement à certains instruments dits « Contingent Convertibles » (ou « Co-Cos »), ne peut être qualifiée de capitaux propres si elle n’est pas contractualisée. Cette position est cohérente avec la norme IFRS 9 sur la comptabilisation et l’évaluation des instruments financiers, qui ignore également l’existence de clauses extra-contractuelles dans la qualification des instruments, mais elle apparaît en contradiction avec l’interprétation IFRIC 2 – parts sociales des coopératives, qui prévoit la qualification en capitaux propres des parts sociales émises sur la seule base d’une obligation légale de non-remboursement au-delà d’un seuil de capital minimum.

 

VI – Conclusion : une évolution structurante par rapport à l’existant

S’il apparaît prématuré d’estimer dès aujourd’hui l’ampleur des changements par rapport à la norme actuelle IAS 32, on peut néanmoins discerner les tendances suivantes :

  • Le déplacement du curseur dette/ capitaux propres vers la dette. En effet, selon la nouvelle approche, le critère de montant indépendant des ressources économiques de l’entité s’applique même lorsque le remboursement est différé jusqu’en date de liquidation, ce qui élargit le champ de la qualification de dette à des instruments tels que les actions de préférence à dividendes fixes cumulatifs, ou les actions à dividende croissant (« step-up »), aujourd’hui qualifiées de capitaux propres. De même, s’agissant des dérivés, les warrants en devises aujourd’hui qualifiés de capitaux propres en IAS 32, par dérogation au principe du « fixe contre fixe », seraient requalifiés en dette du fait de l’existence de la variable devise étrangère, indépendante des ressources économiques de l’entité. Enfin, la constatation d’une dette au titre des dérivés dénoués par rachat d’actions propres, tels qu’un contrat d’achat à terme ou un put vendu sur actions propres, déjà applicable pour les dérivés dénoués en brut par transfert de trésorerie contre actions, serait étendue aux dérivés dénoués en « net share » par échange d’un nombre fixe d’actions achetées contre un nombre variable d’actions émises.
  • Le rétrécissement du champ des instruments dérivés comptabilisés en juste valeur par résultat, selon la méthode générale applicable en IFRS 9. En effet, au regard de l’approche proposée par le DP, les instruments dérivés suivants font l’objet d’un traitement à part :
    • les dérivés qualifiés d’instrument de capitaux propres ne sont pas réévalués, comme c’est déjà le cas aujourd’hui en IAS 32. Néanmoins, cette catégorie s’élargit désormais aux dérivés dénoués en « net share », aujourd’hui qualifiés de dérivés IFRS 9 et réévalués en MtoM par résultat.
    • les dérivés conduisant au rachat d’actions propres et dénoués en brut ou en « net share » sont décompensés et donnent lieu à la constatation d’une dette par contrepartie d’une diminution des capitaux propres. Ici encore, ce traitement existe déjà en IAS 32, mais il s’élargit au cas des dérivés dénoués en « net share », comme évoqué ci-dessus. En outre, le DP impose une correction de la valeur à l’origine de la composante dérivée par imputation sur les capitaux propres, pour l’ajuster sur la valeur d’une option hypothétique de conversion en actions présente dans une OCA.
    • les dérivés exclusivement dépendants des ressources économiques de l’entité mais dénoués en trésorerie (net cash), ainsi que les dérivés dépendants des ressources économiques de l’entité sauf au titre de la composante change (dérivés « partiellement indépendants »), sont réévalués par OCI non recyclables. Cette nouvelle catégorie a vocation à rentrer dans le champ de la norme IFRS 9, qui couvre l’ensemble des dérivés non qualifiés d’instruments de capitaux propres, mais elle devra faire l’objet d’un développement spécifique car IFRS 9 ne connaît pas aujourd’hui cette nature de dérivés. Par ailleurs, on peut s’interroger sur la compatibilité de cette approche avec les « circonstances exceptionnelles » mentionnées par le Framework adopté en 2018 pour utiliser la catégorie OCI de préférence au compte de résultat, contrairement au cas des puts/NCI où l’amélioration de la pertinence du compte de résultat justifie le recours à cette présentation dérogatoire.

Dès lors, les seuls dérivés sur actions propres qui resteraient comptabilisés en juste valeur par résultat sont ceux dont la valeur est indépendante des ressources économiques de l’entité : en pratique, cela correspond au cas où les actions de l’entité sont utilisées comme une simple monnaie de règlement d’un dérivé indexé sur un autre sous-jacent financier.

Le DP cherche néanmoins par ailleurs à limiter l’impact des évolutions par rapport à la norme IAS 32, ce qui le conduit :

  • à ne pas remettre en cause des dérogations existantes, telles que le classement en capitaux propres des instruments « puttables » ou remboursables à une date prédéfinie, ou des parts sociales remboursables émises par les coopératives dont le traitement est défini par l’interprétation IFRIC 2, dérogations qui rentrent pourtant en contradiction avec les principes de distinction dette/ capitaux propres définis par le DP.
  • à ne pas résoudre les incohérences qui subsistent par rapport au  Framework , relatives à l’absence de prise en compte des incitations économiques dans la qualification de dette, ou à la qualification en dette d’un instrument dénoués par actions propres, alors que ce mode de dénouement ne correspond pas à une obligation de transfert de ressources économiques et implique au contraire une qualification en capitaux propres au regard de la norme IFRS 2- paiement en actions, en cohérence avec le Framework.

 

VII – Annexe: Discussion Paper FICE (Financial Instruments with Characteristics of Equity)

  • Discussion Paper

https://www.ifrs.org/-/media/project/fice/discussion-paper/published-documents/dp-fice-june-2018.pdf

  • DP FICE Snapshot

https://www.ifrs.org/-/media/project/fice/discussion-paper/published-documents/dp-fice-snapshot.pdf

  • DP FICE Supporting Material

https://www.ifrs.org/projects/work-plan/financial-instruments-with-characteristics-of-equity/#supporting-material

 

Avertissement

L’objectif de cet article, publié par Accounting Partner, est d’informer ses lecteurs de sujets d’actualité IFRS. Il ne peut en aucun cas être assimilé, en totalité ou partiellement, à une opinion délivrée par Accounting Partner, Accounting Partner décline toute responsabilité relative aux éventuelles erreurs ou omissions que cette publication pourrait contenir. La rédaction de cet article a été achevée le 15 octobre 2018 © Accounting Partner –octobre 2018 – Tous droits réservés

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